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Et plus loin il y avait deux lignes d’une écriture à demi effacée par les plis de la lettre :

« On déjeune demain à Bougival avec Philippe. Ta nouvelle dignité te permettra-t-elle de manger des goujons ?

« Jacques L. »

Ce qu’étaient Mimi Soleil et Jacques, on le devine : une de ces joyeuses filles qui passent leur printemps comme la cigale à faire l’école buissonnière sans trop songer à la bise, un de ces artistes fatalement voués à la vie de bohème, et qui acceptent gaiement leur destinée.

— Certes, oui, s’écria Maurice répondant en lui-même à ses compagnons d’atelier, et si le déjeuner se prolonge jusqu’au soir, eh bien ! M. Closeau du Tailli en sera quitte pour avaler sans moi le dîner de M. Sorbier…

Là-dessus Maurice prit son chapeau et sortit. Le piano ne chantait plus.


III.


La maison de M. Sorbier, à Marly-le-Roi, était l’une des plus belles de ce magnifique jardin anglais qu’on appelle la campagne de Paris. Elle se composait d’un corps de logis d’un seul étage, sur rez-de-chaussée, avec deux pavillons aux extrémités. Une terrasse chargée de vases de fleurs courait tout autour de l’habitation, flanquée à distance de communs élégans et de vastes serres entre lesquels s’étendait une pelouse ornée de grands arbres épars ou groupés. Un parc d’une trentaine d’arpens disposés en avenues, en quinconces, en boulingrins, en beaux massifs, entre lesquels circulaient d’étroits sentiers, montait sur le flanc d’une colline dont un bouquet de chênes couronnait le sommet. La Seine creusait son lit à deux ou trois cents pas de la maison, et faisait un cercle dont l’inflexion gracieuse allait se perdre entre les coteaux et les bois que domine de son profil italien l’aqueduc de Marly. Rien n’avait été épargné pour rendre la Colombière l’une des plus comfortables et des plus élégantes maisons de campagne qui fussent aux environs de Paris. Là, tout invitait à la promenade et plaisait au regard : l’abondance des eaux distribuées avec art, la variété des arbres dispersés en massifs, la profusion des fleurs pressées en corbeilles ou clair-semées dans l’herbe, l’ordonnance du jardin où vingt sentiers croisaient leurs méandres verdoyans, le nombre et la commodité des appartemens meublés avec une recherche pleine de goût. M. Sorbier n’était pour rien dans la création de ces magnificences ; il les avait payées seulement, en