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MAURICE DE TREUIL.

cinq lignes de réclame dans an journal pour épitaphe ! Je crois bien que cela s’appelle la gloire ; mais la gloire est-elle une personne qu’on ne puisse atteindre autrement qu’à pied ? Montez en voiture, et fouette cocher ! Tournez-vous donc un peu vers cette glace, et dites-moi si le visage qu’elle reflète est de ceux qui s’accommodent d’une pipe et d’un vieux chapeau ? Vous êtes comme un oiseau pris dans un filet : je romps les mailles… volez !

M. Closeau du Tailli parla longtemps sur ce ton avec un mélange de fougue et de vulgarité. Tout ce qu’il disait répondait trop bien aux pensées intimes de Maurice pour que celui-ci ne l’écoutât pas avec une secrète avidité. Il n’essaya donc pas de repousser cette vive attaque, et se levant tout à coup :

— Eh bien ! dit-il, vous avez raison, j’irai chez M. Sorbier.

Le rentier prit son chapeau et fit mine de se retirer ; mais il s’arrêta, la main sur le bouton de la porte :

— À propos, pour que la présentation n’ait aucun caractère officiel, — et puis ce sera plus original, — arrivez donc en costume d’artiste, en veste blanche ou en vareuse, avec un chapeau de paille. Je dirai que je vous ai rencontré et que je vous ai amené à la fortune du pot.

Quand Maurice se trouva seul dans son atelier, il entendit tout à coup le son éclatant du piano de sa voisine, qui entrait à flots par la fenêtre ouverte. Laure jouait le menuet de Mozart. Maurice écouta quelques instans cette mélodie, d’un mouvement si leste et si charmant. Il se souvint alors de la promesse qu’il avait faite à M. Closeau du Tailli, et une singulière tristesse le saisit. Il regarda le balcon, dont une folle brise agitait doucement le feuillage. Il pensa à tout ce que ce réduit chaste et souriant renfermait de grâce et de bonté, de jeunesse et de courage, à cette intelligence comme épurée et sanctifiée par la résignation, à ce beau visage d’une expression si tendre et si fière, à cette parole onctueuse et vaillante, à ce cœur pétri des meilleures pensées, et qui avait la transparence du cristal.

— Ah ! murmura-t-il, si j’avais seulement vingt mille francs de rente !…

Un coup de sonnette le tira de sa rêverie.

— Encore ! dit Maurice.

Il courut à la porte et se trouva en présence du concierge, qui tenait à la main un beau bouquet et une lettre.

— Voilà ce qu’un commissionnaire vient d’apporter, dit cet homme. Maurice rompit le cachet, et lut ces quelques mots :

« Tant pis ! je vous embrasse.

« MiMi Soleil. »