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MAURICE DE TREUIL.

de dures privations ; mais que lui importait de n’avoir qu’un maigre plat à son ordinaire, si les personnes qu’il traitait voyaient des faisans sur sa table ? Malheureusement sa fille, héritière de la même folie, le poussait sur cette pente, et se consolait de n’avoir pas de feu dans sa chambre à la condition d’avoir une robe de bal toute neuve.

Il ne faudrait pas conclure de ce portrait que M. du Portail n’eût qu’une intelligence bornée ; bien au contraire il passait à bon droit pour une des lumières de la cour, où son opinion dans les matières les plus ardues avait en quelque sorte force de loi. La rectitude de son jugement, la netteté de son intelligence ne lui faisaient jamais défaut, et, bien connues au ministère de la justice, elles l’auraient peut-être mené à la première présidence d’une cour voisine, si le dérèglement de sa vanité n’avait créé dans sa position des embarras qui pouvaient plus tard nuire au caractère du magistrat, et devant lesquels reculait la bienveillance du gouvernement. D’ailleurs cet homme, qui faisait voir sur son siége un sens si droit, un esprit si ferme et si clair, était dans les choses qui lui étaient personnelles d’une incurie et d’une légèreté qui n’avaient d’égales que son activité au travail, sa bonne humeur et son instruction, aussi solide que variée. Il lui arrivait bien quelquefois de penser à l’avenir d’Agathe, qu’il aimait beaucoup ; mais sur ce chapitre-là le président se repaissait d’illusions. Certaines affaires confuses dont il parlait vaguement lui paraissaient des sources assurées de fortune, et vinssent-elles à manquer, il ne pouvait s’empêcher de croire qu’un hasard les tirerait tout à coup d’embarras, sa fille et lui.

Sur ces entrefaites, et comme pour donner raison à ses folles espérances, un négociant d’Étampes, M. Isidore Sorbier, se présenta chez M. Vincent du Portail et lui demanda la main de sa fille. Le président connaissait de longue date M. Isidore Sorbier, qui était bien l’un des cliens les plus fidèles et les plus actifs de la cour. C’était un homme d’un esprit méticuleux et très processif, et il restait rarement plus de trois mois sans intenter une action judiciaire à quelque fermier ou à quelque propriétaire de l’arrondissement. On savait que M. Sorbier avait amassé une grande fortune et qu’il était en train d’en gagner une plus grande encore ; on n’ignorait pas qu’il était fort intéressé et médiocrement enclin aux actes de générosité, que l’argent était le seul dieu qu’il adorât, et on l’avait vu en toute occasion consulter son avantage et chercher de quel côté était le profit, sans s’inquiéter beaucoup de l’équité. La demande de M. Sorbier, faite en termes précis et qui voulait une réponse précise, surprit donc M. Vincent du Portail. Il l’accueillit d’abord favorablement, mais sans s’engager, et ajourna le prétendant au lendemain, désirant, lui dit-il, laisser à sa fille l’entière et libre disposition d’elle-même.