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MAURICE DE TREUIL.

Le mariage d’Isidore, s’il n’avait pas eu tout le résultat qu’en attendait le banquier au point de vue des procès, avait eu du moins cet avantage, de lui assurer l’appui d’une femme dont les conseils habiles, bien moins dictés par une bonté de cœur naturelle que par une meilleure entente de la vie, atténuèrent les côtés féroces de son exploitation, et rendirent ses relations plus productives et plus nombreuses en les rendant plus souples. Elle lui fit comprendre, mais plus tard et à la longue, que la facilité et une générosité accidentelle étaient aussi des élémens de succès, parce qu’elles lui attiraient des cliens que sa dureté pouvait éloigner. Sans l’effaroucher par des avis trop prompts, et qu’il n’aurait peut-être pas accueillis dès le début, elle lui apprit à verser quelques gouttes d’huile dans les rouages d’une machine dont le mécanisme implacable broyait tout ce qu’elle atteignait. Tel était l’empire qu’elle acquit à la longue sur Isidore, que cinq ans après son mariage elle était parvenue à lui faire rendre, par un acte qui semblait spontané, une somme dont le paiement allait ruiner une famille de cultivateurs, et qui lui était attribuée par le gain d’un procès.

— Vous perdez mille écus, lui dit-elle, mais vous gagnez une commune.

L’effet de cette restitution fut immense. L’Évangile nous dit qu’il y a plus de joie au paradis pour un pécheur qui se repent que pour dix justes qui persévèrent. La vérité de cette parole, que l’observation philosophique consacre, éclata dans cette circonstance. On sut plus de gré à M. Sorbier de cette munificence inaccoutumée qu’on n’en eût témoigné pour mille traits de dévouement aux personnes les plus connues par leur charité. Son nom fut dans toutes les bouches, et on parla de lui comme d’un homme calomnié. Les efforts de Mme Sorbier ne s’arrêtèrent pas à ce premier succès ; elle avait gagné à son mari la reconnaissance de quelques personnes, elle voulut lui assurer l’estime et la considération d’un plus grand nombre : elle y parvint par une foule de petits services qu’elle rendait au nom de M. Sorbier et par une habileté de conduite qui ne se démentit jamais. Elle réussit ainsi à lui ouvrir les portes du conseil municipal d’Étampes, et M. Sorbier répondit à cette élection par un dîner où toutes les autorités de la ville furent invitées. Mme Sorbier se départit en cette circonstance de l’économie qu’elle avait jusqu’alors pratiquée ; son dîner éblouit la sous-préfecture et la mairie. L’ex-amie d’Héloïse Bonin, l’ennemie intime de Mme Sabatier, soulevait un coin du masque, et montrait le but que sa persévérance se proposait. M. Sabatier était par hasard à Étampes ce jour-là ; elle s’arrangea pour qu’il fût du dîner, et tira des armoires où elle le serrait un magnifique service de vaisselle plate qu’elle avait eu pour la valeur intrinsèque de l’argent, et dont l’éclat métallique devait ap-