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REVUE DES DEUX MONDES.

Tailli parlait de M. de Courtalin ? On dirait qu’il le déteste ; sais-tu pourquoi ?

— Je ne sais pas… Je sais seulement qu’il donne cent mille écus.

Et, se tournant de l’autre côté, Sorbier-le-Riche ferma les yeux et s’endormit.

Presque au même instant, deux scènes d’une nature bien différente se passaient, l’une dans une chambre voisine de celle qu’habitait Mme  Sorbier, l’autre à quelques centaines de pas de la Colombière.

Sophie, qui avait fait semblant de se coucher, s’était levée sans bruit aussitôt que ses parens étaient rentrés chez eux, et, après s’être enveloppée à la hâte d’un peignoir, était allée rejoindre Laure, qu’elle trouva à sa fenêtre, regardant la nuit.

— Laure, dit-elle d’une voix que l’émotion ne faisait pas beaucoup trembler, tu ne sais pas, on me marie !

— Ah ! dit Laure, qui se sentit pâlir.

— C’est ma mère qui vient de décider tout cela avec mon parrain. J’ai trois cent mille francs d’épingles.

Laure frissonnait de la tête aux pieds.

— Au moins l’aimes-tu ? l’aimes-tu assez pour le rendre heureux ? reprit-elle en saisissant les mains de Sophie et avec une exaltation qui aurait trahi son secret, si d’autres oreilles l’eussent écoutée.

— Moi ? dit Sophie. Et pourquoi ne le rendrais-je pas heureux ? Beaucoup d’autres m’ont demandée en mariage, et ils n’avaient point de crainte là-dessus.

— Ils ne s’appelaient pas Maurice, ceux-là ! Tu ne sais pas quel cœur fier et sensible il abrite sous le voile de sa gaieté. Ne le froisse pas… La moindre blessure lui ferait trop de mal.

— Es-tu singulière ce soir ! Moi aussi, je suis gaie et je ne suis pas méchante. Que parles-tu de blessure ? Nous irons au bal et aux Italiens.

Laure exposa son front brûlant au vent de la nuit. De grosses larmes gonflaient ses paupières.

— Et quand vous mariez-vous ? reprit-elle en s’efforçant de sourire.

— On va publier les bans tout de suite. C’est à peine si j’aurai le temps de choisir ma corbeille. Tu m’aideras. J’ai déjà dessiné dans ma tête la toilette que je veux porter à l’église… C’est d’un goût charmant.

Laure ne l’écoutait plus ; elle avait la fièvre.

— Écoute, Sophie, reprit-elle tout à coup en l’interrompant, Maurice se consacrera tout entier à ton bonheur. Il est pauvre, il a souffert, beaucoup souffert ; tu es jeune, tu es riche, tu es belle ; sois toute à lui, donne-lui les beaux jours qu’il mérite. Une ancienne ami-