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rien de servile ; ce n’est pas un esclave qui brise ses chaînes et qui est l’ennemi de tout ce qui s’élève au-dessus de lui. Il ne se révolte pas ; il invoque avec des amis, avec des frères plus riches ou plus puissans, une liberté qui leur semble plus digne d’eux. Il chante, avec l’homme des classes moyennes, l’Hymne de l’union :

« Bardes de Bretagne, frappez les cordes de la lyre et chantez l’heureuse union dans des accens enflammés par le patriotisme ; oh ! chantez l’heureuse union. Il n’est pas loin le jour heureux où le malheur, le besoin et la tyrannie seront balayés de notre île. La grande époque de la liberté n’attend qu’une fidèle union. »

L’union porta bonheur aux radicaux ; elle épargna bien des erreurs à tous. Les classes pauvres firent beaucoup moins de fautes sous la conduite de chefs qui leur recommandaient le respect des lois, et leur enseignaient le parti qu’elles en pouvaient tirer. Ce fut un régime de légalité qui porta ses fruits. L’ouvrier, surtout celui du Lancashire, cessa, dans l’opinion publique, d’être un animal immonde et grossier ; Manchester ne passa plus pour être habitée par une population d’ilotes qui ne se lavaient jamais ; on se persuada que tous n’étaient pas des partageurs de propriété, ni des destructeurs d’ordre social. Bamford peut tirer quelque gloire de ce résultat, car il y a beaucoup contribué.

On le voit, si les radicaux ont commis la faute d’entraîner la pauvreté sur le terrain politique et encouru le reproche d’en avoir fait leur instrument, ils ne l’ont pas livrée du moins aux influences corruptrices, aux sociétés secrètes, aux conspirations, aux projets souterrains, aux doctrines funestes, aux utopies séduisantes et menteuses. Le pauvre a joué au citoyen et à l’électeur, mais il a respecté longtemps du moins la légalité ; il a appris à compter sur lui-même ; il n’a pas rompu avec les grandes traditions de son pays, avec les principales vertus de sa race, l’esprit pratique, l’observation de la loi, le respect de soi-même, le besoin de la considération publique. Le pauvre radical, n’ayant pas rompu avec les autres classes comme le chartiste, ne s’est pas mis lui-même au ban de la société ; pour me servir d’un mot anglais, il a conservé sa petite part de respectabilité.

Il ne dissimule pourtant pas sa misère ; mais le cri de sa faim n’est pas une menace contre la société. Il croit encore et il espère ; seulement où a-t-il placé sa foi, et de quelle nature est son espérance ? Il n’attend pas une révolution sociale ; la réparation ne se présente pas à lui sous l’image d’un cataclysme ou d’un incendie qui doit tout dévorer ; il se l’imagine sous les traits d’une conciliation entre les libéraux et les conservateurs. Il n’espère pas tout de la compassion des hommes, il attend quelque chose aussi de leur sagesse et de leur