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plaine et la vallée, le nuage est en çommerce avec la rivière ; l’échange, c’est le pouvoir et la force. Mais si les nuées, les arbres, les vents dédaignaient leur harmonieuse correspondance, ni la rosée, ni la pluie ne donneraient aux montagnes leur couronne de forêts ; un air étouffant ternirait l’éclat des fleurs de bruyère sur le Kinderscout ; on ne verrait pas la verdure pourprée s’adoucir au regard sur le Don vers le soir ; la vallée au-dessous, triste comme la tombe, ne serait pas réveillée par la chute de la rivière. »

Les Corn-Law Rhymes sont des prières courtes, des chansons ou des épigrammes dans toutes les mesures et dans tous les styles, aussi bien faites pour être lues et déclamées que pour être chantées. L’auteur y met sa pensée sous une forme rapide et concise ; souvent c’est la pensée d’un autre dont il s’empare. Toutes les fois qu’un publiciste, un orateur radical a lancé quelque trait dont il puisse grossir son carquois, il aiguise cette flèche ; il y ajoute le tranchant du vers et la légèreté de la chanson. C’est ainsi qu’il se contente en beaucoup d’endroits de versifier les maximes d’un écrivain du libre-échange, député célèbre parmi les radicaux, le colonel Thompson. Eliiott, vrai poète ouvrier, fait arme de tout ; il s’attaque à tous ceux qui lui paraissent, de loin ou de près, faire obstacle an bon marché du pain. Il mord à droite et à gauche, sans y regarder de trop près. Il ne souffre aucun tempérament : « Que la prière soit muette, s’écrie-t-il, quand la charité est sourde ! » Sa muse a l’emportement d’un malheureux famélique. Eliiott manque absolument de ce qui n’abandonne jamais Thomas Hood, le don merveilleux et si rare de la grâce. Qui peut se souvenir du Chant de la Chemise sans attendrissement ? Dans cette misérable couturière, glacée, affamée, d’une maigreur hideuse, couverte de haillons, il y a pourtant je ne sais quelle grâce. Ah ! c’est que Thomas Hood connaissait la Niobé d’Homère, et voilà ce qui fait le désavantage de nos poètes sans éducation ; mais, hélas ! les poètes politiques de cette famille ont bien autre chose à faire qu’à lire Homère. Il faut que leurs feuilles hâtives courent dans les manufactures, il faut que leur vers trouve une entrée dans ces oreilles endurcies par le grincement des roues et par le bruit des machines à vapeur. La colère, la haine et la faim sont ici plus efficaces que la grâce. Voici un échantillon des ardentes invectives du poète du pain à bon marché. Les paroles, dans le texte, se chantent sur l’air de l’un des chants les plus célèbres de Robert Burns :

« D’autres marchent à l’avant-garde de la liberté ; ne peux-tu pas ce que d’autres peuvent ? Toi, un Breton ! toi, un homme ? Que sont donc les vers de terre si tu appartiens à l’humanité ?

« Sourd aux sifflets et aux gémissemens, veux-tu engendrer des esclaves