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SIR ROBERT PEEL.

s’inscrire parmi les patrons de l’entreprise. « Ce sera pour moi un mélancolique plaisir, répondit le 6 juillet M. Cobden, de m’associer à une si convenable manière de témoigner la douleur presque universelle que cause la mort d’un grand bienfaiteur public. L’illustre homme d’état qui nous a été si soudainement ravi a sacrifié tout ce qui peut être un objet d’ambition pour assurer aux foyers et aux ateliers des multitudes laborieuses de ce pays la sécurité, la santé et un bien-être croissant. Il savait quel prix il aurait à payer sur-le-champ pour le service qu’il rendait à la nation ; mais il comptait avec une foi prophétique sur le verdict futur du peuple. Au moment de sa plus rude épreuve, quand il prononça le discours qui a clos sa carrière officielle, après avoir parlé des liens de parti qu’il avait brisés pour toujours, des amitiés politiques qu’il avait transformées en amères inimitiés, des flots de calomnie qu’il avait déchaînés contre lui, après avoir avec tristesse, mais sans regret, énuméré ses sacrifices, il se tourna vers le peuple pour demander sympathie et justice, et termina par ces paroles sa vie de ministre : — Peut-être laisserai-je un nom qui sera quelquefois prononcé avec des expressions de bienveillance dans les demeures de ceux dont le lot en ce monde est le travail, qui gagnent leur pain à la sueur de leur front, et qui se souviendront de moi quand ils répareront leurs forces par une nourriture abondante et franche d’impôt, d’autant plus douce pour eux qu’aucun sentiment d’injustice n’y mêlera plus son amertume. — Vous avez par votre entreprise, ajoutait M. Cobden, réalisé, peut-être sans le savoir, le vœu de l’homme d’état qui n’est plus. Que les sous des ouvriers se transforment en une pyramide élevée à sa mémoire, et qu’elle porte, inscrites sur sa base, les paroles que je viens de rappeler ; elle prouvera que sir Robert Peel n’avait pas trop présumé de la justice et de la reconnaissance de ses compatriotes. »

XVIII.

Ces démonstrations si éclatantes ne dépassaient point, à coup sûr, le sentiment national qui les inspirait, et ce sentiment ne dépassait point, à mon avis, la justice. Sous des dehors froids et roides, sans éclat dans l’imagination et sans abondance expansive dans l’âme, sir Robert Peel possédait et avait déployé des qualités, je dirai mieux, des vertus qui suscitent et justifient l’admiration affectueuse des peuples. Il était sincère et dévoué, et invinciblement courageux dans sa sincérité et son dévouement. « Dans tout le cours de mes relations avec lui, disait le duc de Wellington à la chambre des lords, j’ai eu pleine confiance dans sa véracité et dans son invariable désir de ser-