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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/419

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ERJEB-PACHA, l’interrompant avec quelque impatience.

De grâce, Ansha, finissez. Si vous usiez avec plus de modération de vos avantages, je n’aurais pas à prendre la peine de les rabaisser. Allez, retirez-vous avec vos compagnes. (Elles sortent toutes et Halil avec elles.)


SCÈNE TROISIÈME.
ERJEB-PACHA ET LINDARAXA.


ERJEB-PACHA.

J’ai à vous parler d’Adilé, ma sœur. Son sort est fixé, et mes vœux sont comblés. J’ai reçu ce matin la nouvelle de son admission dans le harem de sa hautesse. Vous savez que mes vœux et mes efforts tendaient tous vers ce but. Il ne s’agit plus maintenant que d’informer Adilé du résultat de mes démarches. Elle est bien préparée, n’est-ce pas?

LINDARAXA.

Instruite comme je l’étais par vous de vos projets, je n’ai rien négligé pour la rendre propre à les servir et pour l’attacher à vos intérêts. Je dois vous avouer pourtant que je ne sais jusqu’à quel point le succès a répondu à mes efforts. Il y a dans cette jeune fille quelque chose que je ne comprends pas, quelque chose de mystérieux qui m’embarrasse : tantôt elle me semble simple et ingénue, franche, légère, fantasque même, tantôt au contraire je crois découvrir en elle de la dissimulation, une finesse singulière, une disposition naturelle à la fausseté et à la ruse. Elle a parfois un regard que je ne puis soutenir et devant lequel je baisse les yeux malgré moi; c’est en tout cas une étrange fille. Vous devriez, je pense, lui faire part vous-même du changement qui vient de s’opérer dans sa destinée, et vous jugerez par là des services qu’elle peut vous rendre.

ERJEB-PACHA.

C’est bien ce que je compte faire, car, faut-il vous le dire, ma sœur, vous êtes une femme distinguée, oui, très distinguée; mais enfin vous êtes femme, ma chère amie, et vous ne pouvez avoir la pénétration d’un homme,... d’un homme que le sultan Mahmoud honorait de sa confiance. Quant à cette esclave, je me serais occupé d’elle plus particulièrement si je n’avais craint... Vous me comprenez... Le penchant qu’elle a toujours témoigné pour moi pouvait se transformer en un amour indomptable. Et une Circassienne, une Circassienne amoureuse... au moment où cette lettre m’annonce son admission dans le harem impérial... J’en frémis, rien que d’y penser... Mais, Allah soit loué! Adilé va bientôt partir pour Stamboul, et ma prudence a conjuré le danger. Faites-la venir, Lindaraxa. (Lindaraxa frappe trois fois des mains, et une esclave se présente.)

LINDARAXA.

Dites à Adilé que son excellence le pacha l’attend ici. (L’esclave s’incline et sort.) Permettez-moi aussi, mon frère, pendant que nous sommes seuls, de vous dire quelque chose au sujet de Fatma. Elle est bien malheureuse, et je ne serais pas étonnée qu’elle perdit patience.

ERJEB-PACHA.

Fatma! Et quand elle perdrait en effet patience, qu’en résulterait-il pour