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elle et pour moi? Elle est malheureuse, dites-vous? Si elle perd patience, elle souffrira un peu plus, et voilà tout.

LINDARAXA.

Je ne sais, mais elle me semble changée. Elle jusqu’ici douce et résignée, je la trouve depuis quelque temps inquiète et irritable. Je ne saurais d’ailleurs, — pardonnez-moi, mon frère, si je vous parle avec trop de liberté, — retrouver dans votre conduite envers elle les traces de cette justice parfaite qui vous distingue en toute chose. Vous vous souvenez qu’à l’époque où un malheur dont elle était innocente vous détacha d’elle, Fatma ne s’opposait aucunement à ce qu’on la renvoyât à ses parens. Elle y avait au contraire consenti de fort bonne grâce, et ce fut pour des considérations pécuniaires, si ma mémoire ne me trompe pas, que vous prîtes le parti d’éviter tout éclat, et de la garder dans votre maison, tout en lui déclarant que vous cessiez de voir en elle une épouse.

ERJEB-PACHA.

Et j’ai tenu parole. Quant à ne pas la répudier, bien m’en a pris, et j’ai eu plus d’une fois l’occasion de m’en féliciter, puisque c’est avec sa fortune que j’ai soutenu l’éclat de mon rang dans les premiers temps qui suivirent ma disgrâce. Que serais-je devenu sans les biens que Fatma possède en Syrie? Oubliez-vous que c’est là que j’ai trouvé un asile en quittant Stamboul?

LINDARAXA.

Je ne vous reproche pas d’avoir gardé Fatma et sa fortune, et je reconnais que cette résolution a eu pour vous de grands avantages. Je désirais seulement vous rappeler qu’à l’époque de votre séparation de fait d’avec Fatma, vous lui avez promis qu’elle jouirait toujours chez vous de la considération à laquelle elle a droit et d’une autorité dont elle n’a jamais abusé, qu’elle serait respectée par vos autres épouses, et qu’elle trouverait en vous, sinon un mari, du moins un ami, un protecteur, un frère.

ERJEB-PACHA.

Bah! ce sont là des façons de parler. Si elle m’impatiente, si elle impatiente Ansha, je n’y puis rien. Ce sont de ces choses dont on ne peut convenir à l’avance. Ce que je pouvais lui promettre sérieusement, c’est qu’elle ne manquerait de rien d’essentiel chez moi. Or je ne doute pas qu’elle ne mange et ne boive à sa fantaisie, et je la vois toujours bien mise... Mais voici Adilé.


SCÈNE QUATRIÈME.
ADILE ET LES PRÉCÉDENS. (Adilé est enveloppée d’un grand voile en calicot blanc taillé à la façon de l’Asie-Mineure, et qu’elle ouvre le moins possible. Elle ne prononce guère que des mots entrecoupés à voix très basse et avec un certain effort.)


ERJEB-PACHA.

Approchez, Adilé, approchez sans crainte. J’ai à vous parler.

ADILÉ.

Je n’ai aucune crainte.