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comprenez que pareille chose ne fût pas arrivée, si, au lieu d’être entouré par mes ennemis, mon vénéré maître avait eu auprès de lui quelques-uns de mes amis? (Nouveau geste affirmatif d’Adilé.) Trouvez-vous naturel que j’aie confiance dans votre attachement?

ADILÉ.

Dans mon attachement à qui?

ERJEB-PACHA.

Mais à moi, Adilé. N’ai-je pas acquis le droit de compter sur votre dévouement? Vous devez comprendre maintenant pourquoi je vous ai placée auprès de sa hautesse. C’est sur vous, je le répète, que repose à cette heure le salut de l’état. Vous devez dessiller petit à petit les yeux du souverain, lui parler de moi, de mon dévouement, de ma fidélité, de mes vertus et de mes lumières, lui signaler mes ennemis comme une bande d’assassins révolutionnaires, impies et constitutionnels, qui le poussent sur les bords d’un abîme sans fond où ils comptent le précipiter à la première occasion, pêle-mêle avec la monarchie, la religion, la loi et le prophète. Vous devez ménager adroitement leur châtiment et mon rappel. Comprenez-vous maintenant ce que la nation des Osmanlis, la postérité, les ancêtres et moi-même nous attendons de vous? Ah! Adilé! peu de femmes sont appelées à d’aussi hautes destinées !

ADILÉ.

Je comprends,... mais...

ERJEB-PACHA.

Qu’y a-t-il encore, Adilé?

ADILÉ, changeant subitement de ton et prenant l’accent de la plus grande tendresse et de la plus violente douleur.

Mais partir! vous quitter! m’éloigner pour toujours! Ah! ne me le demandez pas !

ERJEB-PACHA.

Je comprends tout ce que cette séparation a de pénible pour vous, et je serais étonné s’il en était autrement. Moi-même, croyez-le bien, Adilé, je ne vous verrai pas partir sans regrets. C’est un sacrifice que je fais à la patrie !... mais nous nous retrouverons, n’en doutez pas. C’est à vous de hâter cet heureux moment en travaillant à me rétablir dans la haute position d’où mes ennemis m’ont précipité. Chaque mot que vous prononcerez en faveur de la bonne cause me rapprochera de vous.

ADILÉ, se couvrant entièrement le visage.

Hélas! hélas!

ERJEB-PACHA.

Voyons, Adilé, chère Adilé, séchez vos pleurs. Allez vous remettre de vos émotions. Vous savez maintenant ce que j’attends de vous. Nous nous reverrons avant votre départ, et je vous donnerai des instructions précises sur la conduite que vous aurez à tenir. Ce premier moment passé, vous envisagerez l’avenir avec confiance, soyez-en sûre. Allez maintenant, allez. (Adilé s’incline et sort.)