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but d’enlever à la Russie toute communication avec le Bas-Danube. On crut obtenir ce résultat en prenant pour démarcation une ligne passant devant Bolgrad, à quelques lieues du lac Yalpulk, de telle façon que tout le périmètre du lac fût enclavé dans le territoire valaque. Le lac Yalpulk communiquant avec le Bas-Danube et la Russie étant exclue de ses rives, l’objet des puissances occidentales devait être atteint. Malheureusement l’indication de Bolgrad sur les cartes était erronée. Quand les commissaires arrivèrent sur les lieux, l’ancien Bolgrad, celui que le congrès de Paris avait eu en vue et qu’il avait cru pouvoir laisser sans inconvénient à la Russie, se trouva bien à la place indiquée sur les cartes ; seulement c’était un village insignifiant, et l’on découvrit sur les bords du lac une ville ignorée du congrès de Paris, qui ne figure point sur les cartes russes, qui porte aussi le nom de Bolgrad, et que le cabinet de Pétersbourg veut conserver. Telle est la difficulté, et nous répétons que c’est la seule à laquelle l’exécution du traité de Paris a donné lieu pour ce qui concerne la nouvelle délimitation des frontières en Bessarabie. À mieux dire, ce n’en est point une, elle se réduit à une question de bonne foi. La Russie, dans la pensée avérée du congrès de Paris, ne devant point garder de communication par eau avec le Bas-Danube, ne saurait conserver cette ville de Bolgrad, qui était venue s’asseoir sur les bords du lac Yalpulk, sans que les cartes en eussent rien dit. Si la Russie veut porter cette chicane devant la conférence, libre à elle ; mais non-seulement la France s’unira à l’Angleterre pour la repousser, il est hors de doute que la majorité de la conférence se prononcera contre la prétention du cabinet de Pétersbourg.

Ainsi du côté de l’Orient il est permis d’espérer que l’œuvre pacificatrice du congrès de Paris est assurée, ou du moins n’est point exposée à de prochains dangers. Nous voudrions être autorisés à témoigner la même confiance dans le succès du travail que les puissances occidentales ont entrepris au sein du congrès pour donner à l’Italie le bienfait d’un gouvernement tolérable. L’initiative de la France et de l’Angleterre à propos des affaires d’Italie a étonné quelques personnes toujours portées à énerver jusqu’à l’inertie l’esprit de conservation, et au gré desquelles la plus simple prévoyance est une périlleuse hardiesse. Ces personnes ont trouvé étrange que l’on eût mêlé au règlement des affaires d’Orient la discussion des affaires d’Italie. Tout au contraire imposait au congrès la prise en considération de l’état des gouvernemens italiens. Était-il possible d’achever l’œuvre de la paix générale en fermant systématiquement les yeux sur des faits qui en compromettent la sûreté et la durée ? Il y a entre les affaires d’Italie et les affaires d’Orient une similitude qui ne saurait échapper à des esprits sérieux. En Italie comme en Orient, le mauvais gouvernement peut pousser à l’insurrection des populations exaspérées, et la différence des civilisations doit rendre encore le joug d’une administration faible, absurde et tyrannique plus odieux aux Italiens qu’aux chrétiens de Turquie. En Italie comme en Orient, le conflit des gouvernemens et des peuples peut à tout instant appeler l’intervention d’influences étrangères. En Italie comme en Orient, le choc de ces influences étrangères peut, si on laisse aller aveuglément les choses au hasard du lieu et du moment, faire éclater des conflagrations