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européennes. Ajoutez que la question italienne était déjà bien menaçante lorsque les complications orientales commencèrent. En 1852, dans l’opinion des hommes d’état les plus conservateurs et les plus prudens de l’Angleterre, c’était même la seule qui eût un caractère de pressante gravité. Lord Aberdeen, entre autres, si nous avons bonne mémoire, croyant fermement alors que tant que l’empereur Nicolas vivrait, il n’y avait pas à s’inquiéter d’une explosion de l’ambition russe vis-à-vis de la Turquie, affirmait en même temps qu’il n’y avait pour la paix qu’un danger, mais celui-là imminent, presque inévitable, et que ce danger était l’Italie. La guerre d’Orient, comme une diversion puissante, est venue ajourner à l’improviste la question italienne ; mais les gouvernemens italiens, n’ayant pas voulu ni su profiter de ce répit de quatre années, pour se fortifier en se réformant, ayant au contraire aggravé par une obstination incurable leur situation vicieuse, le moment où cessait la guerre d’Orient était justement celui où une politique prévoyante et ferme devait s’emparer des questions italiennes pour en conjurer les mauvaises chances.

Deux états, le royaume de Naples et les États-Romains opposent au centre et au midi de la péninsule un fâcheux contraste à la généreuse vigueur que déploie au nord la libérale monarchie du Piémont, et paraissent entretenir cette fermentation de l’Italie qui est une menace permanente pour la tranquillité de l’Europe. La situation de Rome et de Naples a été signalée au congrès, et la France et l’Angleterre ont commencé, par des représentations à la cour de Naples, l’œuvre de redressement modérateur qu’annonçaient leurs déclarations aux plénipotentiaires réunis à Paris. Quelle sera la réponse définitive du roi de Naples aux conseils des puissances occidentales ? On assure que les déterminations de résistance par lesquelles avaient été d’abord accueillies les remontrances de la France et l’Angleterre sont ébranlées dans l’esprit du roi de Naples. Ce souverain, qui, bien qu’engagé dans un faux système, est loin de manquer de pénétration, ne se dissimule point qu’une plus longue opiniâtreté est impossible. Ce qui reste encore indécis pour lui, c’est, dit-on, le moment des concessions. Il faudra bien accorder une amnistie et rendre enfin à la liberté des hommes tels que le noble et infortuné Poërio, il faudra bien donner des garanties à l’administration de la justice et faire cesser les abus de cette autocratie policière contre laquelle se soulèvent le bon sens et la moralité de l’Europe ; mais quand cédera-t-on ? Le roi de Naples peut encore se rendre avec une certaine bonne grâce aux instances des puissances occidentales, tant que ces instances plus ou moins vives ne sont qu’une pression morale ; mais le jour où ces instances seraient épuisées, la France et l’Angleterre, le roi de Naples ne l’ignore pas, sont décidées à soutenir leurs demandes par une démonstration de force. La cour de Naples, comptant sur les embarras qu’une pareille démonstration pourrait nous susciter, voudrait-elle courir les risques bien plus graves auxquels cette extrémité exposerait son propre pouvoir ? Nous répugnons à croire à un pareil calcul. Espérons plutôt que, mieux éclairé par le sentiment de sa dignité et par sa prudence ordinaire, le roi de Naples ne restera point sourd aux sages représentations de deux grands gouvernemens, et saura écouter à temps leurs conseils.