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REVUE DES DEUX MONDES.


ESSAIS ET NOTICES.

Histoire de l’Église de Rome sous les pontificats de saint Victor, de saint Zéphyrin et de saint Calliste, par M. l’abbé Cruice, supérieur de l’école ecclésiastique des hautes études.


Il n’est peut-être pas dans l’histoire du christianisme de spectacle plus intéressant que celui de l’église naissante, quand elle n’a pas encore l’empire, qu’elle croît et grandit par une force divine qui est en elle, confiante dans la liberté de la pensée, et marchant vers son but à travers les obstacles de la force humaine. Étrangère aux soucis du gouvernement des hommes, aux calculs de la politique, à tous les intérêts du monde, elle paraît plus simple et plus énergique, plus jeune et plus forte. Douce et patiente, elle est faible en apparence, mais on sent qu’elle dispose d’une puissance merveilleuse ; on sent qu’elle seule est vivante et pleine d’avenir au milieu de la vieillesse et de la décrépitude qui sont partout. Elle ne connaît d’autre arme que la parole, mais elle s’en sert avec une rare indépendance, et conserve toujours dans l’expression quelque chose de libre et de fier, qui fait que sa doctrine, nette et positive, n’est pourtant qu’une belle et noble philosophie. Plus tard, elle domine sur le monde ; elle est plus grande et plus admirable peut-être, elle a l’éclat de la maturité : elle n’a plus la grâce primitive de la jeunesse.

L’Histoire de l’Église de Rome de M. Cruice nous fait assister à ce spectacle dont nous parlons : nous y trouvons le progrès et la vie de la société chrétienne durant trente-deux ans de la période où le christianisme est fort loin encore de la domination et l’église de la puissance, de l’an 192 à l’an 224, cent ans avant le concile de Nicée. Tous les développemens principaux du dogme sont déjà connus ; la discipline s’établit ; Rome est consultée ou prise à témoin de toutes parts ; elle exerce une suprématie morale qui ressemble à une cour suprême de justice ; elle n’administre pas encore les églises, elle les protège, les défend ou les juge. M. Cruice apporte au secours de cette histoire une connaissance profonde des deux antiquités, païenne et chrétienne, une critique exacte et savante, en même temps qu’une de ces convictions fortes et généreuses sans lesquelles il n’y a pas de véritable histoire. Des élémens nouveaux s’offraient à lui ; un livre de controverse théologique, apporté du mont Alhos par M. Mynoïde Mynas, a ouvert des perspectives inconnues sur cette époque de la primitive église : nous voulons parler du livre des Philosophumena. Chose singulière, les premiers qui se soient servis de cet ouvrage sont des auteurs protestans ; ils en tiraient des témoi-