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gnages graves contre un évêque de Rome, et le théologien du IIe siècle devenait un renfort contre la papauté. Voici maintenant que leur système ne se soutient plus, que le témoignage de l’auteur des Philosophumena tourne plutôt à la gloire du pontife calomnié, et que le livre de M. Cruice est le résultat Imprévu et peut-être définitif de toute la discussion.

Il convient d’abord de dire un mot de la controverse relative au livre des Philosophumena. Cet ouvrage contient une notice pleine d’amertume et d’invectives contre saint Calliste, évêque de Rome, évêque des évêques, comme on disait déjà. Le pape honoré comme un des plus grands saints du commencement du IIIe siècle, l’un des pontifes qui ont tenu le plus ferme le gouvernail de l’église, est un esclave qui a volé son maître, un malheureux qui a fait banqueroute, un agitateur qui jette le désordre parmi les Juifs assemblés dans leur synagogue, un intrigant qui s’empare de l’esprit et surprend l’affection de Zéphyrin, son prédécesseur, un prêtre relâché qui pardonne à tous les pécheurs, un mauvais citoyen qui, au mépris des lois, marie des femmes patriciennes à des hommes d’une condition inférieure. Quelle bouche a porté ces accusations ? Si l’on en croit le savant M. de Bunsen, ancien ambassadeur de Prusse en Angleterre, et les quatre volumes qu’il a publiés sous le titre de : Hippolytus and his age, ce n’est pas moins que saint Hippolyte, évêque de Porto, docteur et martyr. Voilà donc un pape, saint et martyr lui aussi, qui serait accusé dans les termes les plus violens par un saint d’une vertu incontestable et revêtu d’une grande autorité en théologie ! Quelle arme redoutable contre la papauté ! Quelle protestation accablante contre l’église de Rome ! Malheureusement il n’y a pas plus de raison d’attribuer l’ouvrage à saint Hippolyte qu’à tout autre docteur, surtout si l’on prend pour guide le bibliographe universel Photius, qui a eu toutes les œuvres de saint Hippolyte entre les mains. M. de Bunsen a fait un raisonnement qu’on fait souvent : Hippolyte est du IIe siècle et a écrit un traité contre les hérésies : ce livre est un traité contre les hérésies, et il est du IIe siècle ; donc Hippolyte est l’auteur de ce livre. L’ouvrage d’Hippolyte, d’après les indications qu’on possède, ne ressemblait pas tout à fait à celui-ci ; d’autres concluraient que ce n’est pas le même : M. de Bunsen en conclut que les dissemblances qui le gênent sont des changemens ou des interpolations. Ajoutez qu’Hippolyte aurait fait ici une profession de foi contraire à celles qu’il nous a laissées ailleurs, et qu’il est impossible de savoir si les circonstances qui se rapportent à l’auteur des Philosophumena peuvent lui convenir. La biographie de saint Hippolyte se réduit à si peu de chose, qu’on ignore même où était son diocèse. Ainsi ce qu’on sait, comme ce qu’on ne sait pas d’Hippolyte, empêche également de suivre l’opinion de M. de Bunsen. Cela n’empêche pas M. de Bunsen, le digne disciple de Niebuhr, d’avoir consacré à son système beaucoup d’érudition et de talent : il faut beaucoup de science pour se tromper ainsi.

M. de Bunsen a habité l’Angleterre pendant plus de vingt ans ; c’est pour les Anglais qu’il a écrit son livre. Il les invite à se joindre de cœur et d’esprit au mouvement théologique rationaliste qui entraîne les Allemands et les met à la tête de l’école protestante. Déjà quelques théologiens anglais donnent le signal et se lancent hardiment dans la carrière aventureuse de l’exégèse allemande. Ces tentatives, moins anglaises que germaniques, sont