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REVUE. — CHRONIQUE.

retourné. Pourquoi chercher ces explications subtiles ? Nous ne savons rien de la vie de saint Hippolyte, et de l’auteur du livre des Philosophumena nous ne savons qu’une chose, c’est qu’il est l’ennemi de celui qu’il accuse.

Nous ne prétendons pas réfuter le système de M. Bunsen, c’est une œuvre accomplie déjà par bien des savans, et en particulier par M. Cruice, soit dans son Histoire de l’Église romaine, soit dans un livre publié déjà depuis trois ans sur les Philosophumena[1]. En citant la notice sur Calliste, nous avons voulu mettre sous les yeux du lecteur un document curieux sur l’histoire de l’église. La critique dégage aisément la calomnie et le mensonge qui y sont mêlés ; mais des couleurs nouvelles viennent s’ajouter à un tableau un peu effacé par le temps. Une figure presque inconnue jusque-là nous est rendue, celle d’un esclave, qui, après toute sorte de misères, condamné pour dettes à tourner la meule, jeté en exil, rappelé ensuite malgré des inimitiés qui se trahissent elles-mêmes, s’élève jusqu’à l’amitié et à la confiance du souverain pontife, dirige les travaux dans ces souterrains immenses qui sont le refuge de l’église, parvient lui-même, quoique esclave ou tout au moins affranchi, au plus haut siège de la chrétienté, gouverne l’église avec vigueur, désobéit saintement à des lois honteuses pour l’humanité, pratique avec hardiesse l’égalité évangélique en mariant les femmes illustres à des hommes obscurs, et mérite par son courage comme par sa prudence et sa modération les accusations d’un fanatique et d’un sectaire. Nous ne croyons pouvoir mieux terminer qu’en félicitant M. Cruice d’avoir vu le premier ce que l’histoire pouvait gagner là où la critique et l’érudition ne trouvaient que des résultats négatifs.


L. Étienne.



ÉTUDES SUR LES BEAUX-ARTS, par M. Frédéric de Mercey[2]. — Il y a bien des façons de faire l’histoire de l’art. Un Allemand ne consentirait jamais à parler architecture, peinture ou statuaire sans pousser une exploration psychologique jusqu’aux sources du beau, du beau essentiel, sans se demander si la notion du beau est objective ou subjective, ou si elle est une réaction du subjectif sur l’objectif. N’espérez pas que cette investigation sera courte : voici venir la distinction entre la perfection logique et la perfection esthétique, et une autre distinction entre le beau libre et le beau adhérent. Vous suivez comme vous pouvez ces obscures subtilités ; mais souvent, las d’abstractions, vous les abandonnez, vous vous souvenez que, comme le beau, vous êtes libre, et vous n’adhérez pas. C’est qu’une pareille analyse peut tout au plus vous montrer les ressorts d’une certaine opération de l’âme, mais elle ne vous donne ni la connaissance ni le sentiment du beau. La décomposition savante d’une conception ou d’une impression n’a jamais formé ni les artistes ni les connaisseurs ; ils ont cette bonne fortune, que le beau, pour être exprimé ou senti, n’a pas besoin d’être défini. Chacun a un sens intime pour juger les œuvres d’art, comme des yeux pour les regarder ; mais si ce sens perçoit mal, les lunettes de la psychologie n’y feront rien.

Il suffit de remarquer que la notion du beau est à la fois une idée et un

  1. Études sur les Philosophumena. Paris, Périsse frères, 1853.
  2. 2 vol. in-8o, chez Arthus Bertrand.