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père, pour montrer l’intérêt philosophique de ce genre de recherches. Une portion du voile a déjà été soulevée, et la géographie botanique nous fait entrevoir les lois qui ont présidé à l’apparition des végétaux sur le globe terrestre.

I. — Premiers travaux de géographie botanique.

Il serait difficile de dire quel est le premier auteur à qui on ait dû des notions de géographie botanique : on les trouve éparses dans tous ceux qui, après avoir décrit une espèce, énuméraient les pays dans lesquels elle croît naturellement ; mais ces remarques isolées, élémens de la science, ne la constituaient point encore. C’est Linné, dont le génie a deviné toutes les conquêtes réservées à l’histoire naturelle, qui jeta les premiers fondemens de la géographie botanique, et comprit qu’elle en serait un jour l’une des branches les plus attrayantes. Dans un discours sur l’accroissement de la terre, il montre le sol habitable surgissant lentement du sein de la mer et se couvrant de végétaux, dont les graines sont disséminées et répandues de tous côtés par dès agens variés, tels que le vent, les fleuves, les animaux et l’homme lui-même. Dans une autre dissertation, il prouve que beaucoup de plantes occupent des stations déterminées, les unes végétant dans les eaux courantes, les autres dans les marais, d’autres au bord de la mer. Il en est qui ne se plaisent que dans les sables arides, quelques-unes préfèrent les décombres et les terres éboulées ; plusieurs enfoncent leurs racines dans les fentes des pierres, et ajoutent puissamment au charme des ruines en les parant de fleurs ; il en est qui se suspendent aux parois verticales des rochers, mais la plupart aiment une terre riche et féconde où elles puissent acquérir tout leur développement. Enfin, dans une thèse soutenue sous sa présidence par un de ses élèves, Linné donnait des exemples de colonies végétales formées loin de la mère-patrie. Des impressions personnelles se joignaient à ces recherches scientifiques et montraient le côté pittoresque de la science nouvelle. Pendant son voyage en Laponie, la jeune imagination de Linné[1] avait été frappée de l’appauvrissement progressif de la végétation, qui expirait sous ses yeux à mesure qu’il s’avançait vers le nord. Même les arbres de la Suède, sa froide patrie, l’abandonnaient l’un après l’autre sur le versant des alpes laponnes, où le pin et le bouleau résistent seuls à la rigueur des hivers et à l’insuffisance des étés. Il comparait mentalement la végétation luxuriante des tropiques avec les humbles végétaux qui l’entouraient, et, dans le style poétique et concis qui lui est propre, il termine ainsi les prolégomènes de sa Flore laponne : « La dynastie des palmiers règne sur les

  1. En 1732, il était alors âgé de vingt-cinq ans.