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parties les plus chaudes du globe, les zones tropicales sont habitées par des peuplades d’arbustes et d’arbrisseaux, une riche couronne de plantes entoure les plages de l’Europe méridionale, des troupes de vertes graminées occupent la Hollande et le Danemark, de nombreuses tribus de mousses sont cantonnées dans la Suède ; mais les algues blafardes et les blancs lichens végètent seuls dans la froide Laponie, la plus reculée des terres habitables. Les derniers des végétaux couvrent la dernière des terres. »

Le changement et l’appauvrissement que Linné observait en marchant du sud au nord, Tournefort les avait déjà remarqués lorsqu’il s’élevait sur les flancs du mont Ararat, en Asie. Au pied de la montagne, il retrouvait les plantes d’Arménie, plus haut celles d’Italie, plus haut encore celles des environs de Paris, au-dessus celles de la Suède, et enfin, dans le voisinage des neiges éternelles, celles de la Laponie. Contemporain et rival de Linné, Buffon, généralisant tous ces traits épars, caractérisait en peu de mots la géographie botanique : « Les végétaux qui couvrent la terre, disait-il, et qui y sont encore attachés de plus près que l’animal qui broute, participent aussi plus que lui à la nature du climat. Chaque pays, chaque degré de température a ses plantes particulières. On trouve au pied des Alpes celles de France et d’Italie ; on trouve à leur sommet celles des pays du nord. On retrouve ces mêmes plantes du nord sur les sommets glacés des montagnes d’Afrique. Sur les monts qui séparent l’empire du Mogol du royaume de Cachemire, on voit du côté du midi toutes les plantes des Indes, et l’on est surpris de ne voir de l’autre côté que des plantes d’Europe. C’est aussi des climats excessifs que l’on tire les drogues, les parfums, les poisons, et toutes les plantes dont les qualités sont excessives. Le climat tempéré ne produit au contraire que des choses tempérées. Les herbes les plus douces, les légumes les plus sains, les fruits les plus suaves, les animaux les plus tranquilles, les hommes les plus polis sont l’apanage de cet heureux climat. »

Linné et Buffon avaient, comme on le voit, pressenti et défini la géographie botanique ; un modeste abbé, dont le nom est trop peu connu, devait le premier en faire l’application à un pays en particulier. Dans son Histoire naturelle de la France méridionale, publiée en 1782, l’abbé Giraud-Soulavie consacre la moitié d’un volume à la topographie des plantes de la région comprise entre la Méditerranée et le sommet des Cévennes ou du Vivarais, dont le point culminant, le mont Mezenc, s’élève à 1,754 mètres au-dessus de la mer. Pour lui, la géographie botanique fut une révélation intuitive. né au pied de ces montagnes et encore enfant, une mère éclairée, voulant ranimer sa santé chancelante par l’air vivifiant des sommets, lui montrait, en le soutenant dans ses bras, la succession des zones qu’ils