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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/485

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multiplie. C’est ainsi que plusieurs amaranthes et l’une des mauvaises herbes les plus communes de France, l’érigeron du Canada, nous sont venues de ce pays avec des graines de céréales. Réciproquement, les cultivateurs des États-Unis ont vu paraître dans leurs moissons la bourse-à-pasteur, des espèces de luzerne {medicago), le chrysanthème blanc, le séneçon vulgaire, espèces communes dans les champs de blé de l’Europe, mais étrangères à l’Amérique.

Les parcs, les jardins, et surtout les jardins botaniques, sont des centres de naturalisation[1]. La plante se répand d’abord dans l’enceinte du jardin, s’y multiplie, mais ne tarde pas à la franchir pour se propager dans la campagne, où elle se maintient quelquefois. Près de Montpellier, sur les bords du Lez canalisé, qui va se jeter dans la mer, se trouve une petite gare appelée le port Juvénal. C’est là que les tartanes de Jacques Cœur venaient, au XVe siècle, débarquer les précieux tissus et les parfums de l’Orient ; actuellement on y sèche des laines provenant des échelles du Levant, de la Mer-Noire, d’Algérie, de Buenos-Ayres et d’autres contrées. Ces laines sont chargées de graines qui se sont accrochées à la toison des moutons. Étalées sur des cailloux brûlans qui recouvrent un sol humide, elles laissent tomber ces graines, qui germent entre les pierres, et le botaniste étonné voit paraître chaque année des plantes de l’Asie, de l’Afrique ou de l’Amérique. M. le professeur Godron de Nancy en a décrit 372 espèces. La plupart ne se perpétuent pas sur le nouveau sol où le hasard les a jetées, elles vivent un ou deux ans, puis disparaissent sans retour ; mais quelques-unes se sont répandues et naturalisées dans les environs de Montpellier. Quoique plusieurs soient très communes, d’autres remarquables par leur taille, aucune cependant n’est décrite dans la Flore de Montpellier que le célèbre Magnol publiait en 1686, preuve qu’elles n’existaient pas de son vivant aux environs de cette ville ; M. Hewett-Watson s’est attaché, dans sa Cybele britannica, à distinguer les hôtes étrangers qui sont venus se mêler à la population indigène de l’Angleterre ; il compte en tout 83 espèces dont l’origine est certaine : 10 viennent d’Amérique, les autres des régions européennes voisines, de l’Asie ou de l’Afrique. La France en possède certainement un beaucoup plus grand nombre, mais sa position continentale rend les recherches plus difficiles et moins sûres.

Quelques chiffres donneront une idée de l’importance de ces naturalisations. Tous sont au-dessous de la vérité, car il est très difficile de constater après coup l’apparition d’une espèce introduite depuis plusieurs siècles. Cependant, depuis la découverte de l’Amérique,

  1. C’est ainsi que vingt-quatre espèces exotiques, c’est-à-dire originaires d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique, se sont naturalisées spontanément dans le jardin de Montpellier.