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l’époque de la dispersion des plantes aquatiques, qui n’ont pu se répandre dans des contrées couvertes d’un épais manteau de glace.

Existe-t-il un ou plusieurs centres de création végétale ? Est-il probable qu’une espèce a d’abord paru sur un seul point du globe, et s’est répandue de la dans toutes les contrées où nous la rencontrons actuellement, ou bien devons-nous admettre des centres de création multiples ? Donnons d’abord la parole aux faits. Il est certain que des espèces parfaitement identiques se retrouvent à la fois en Laponie, sur les sommets élevés des Alpes, dans les Carpathes, les montagnes de l’Écosse et sur les pics des Pyrénées. Il ne l’est pas moins que ces espèces ne sauraient vivre dans les plaines intermédiaires. On ne conçoit donc pas comment leurs graines auraient pu accomplir un si long voyage et traverser les vastes surfaces de terre et d’eau qui séparent les principaux massifs montagneux de l’Europe. Le nombre de ces plantes est considérable. M. Anderson, l’auteur le plus moderne qui se soit occupé de la flore laponne, ne compte pas moins de 108 espèces communes aux alpes helvétiques et à la Laponie. Sur ces 108 espèces, il en est qui reparaissent sur des points intermédiaires entre la Laponie et les Alpes, tels que les Carpathes, les montagnes de la Saxe et de la Silésie ; mais 29 n’existent qu’en Laponie et dans les Alpes, et plus au sud dans les Pyrénées ; 18 ne se trouvent qu’en Laponie et en Écosse. Ces groupes d’espèces sont donc disjoints et séparés par de grands espaces. Veut-on des exemples encore plus frappans ? Trois espèces[1] n’ont été observées jusqu’ici qu’en Irlande et aux États-Unis ; un grand nombre existent uniquement en Asie et en Afrique, ou en Amérique et en Asie. D’autres habitent les zones tempérées des deux hémisphères, et sont séparées par l’immense intervalle des zones tropicales et intertropicales du globe. Parmi ces végétaux, on en cite qui, dans l’hémisphère nord, ont été observés en Laponie seulement, dans l’hémisphère sud à la Terre-de-Feu et à la Nouvelle-Zélande ; d’autres n’ont été vus qu’aux États-Unis et sur les bords de la Méditerranée d’un côté, et de l’autre en Patagonie. Plantes des pays froids ou tempérés, elles ne sauraient vivre sous l’équateur ; une propagation de proche en proche est donc radicalement impossible, et le transport des graines d’un bout du monde à l’autre l’est également, car il n’existe pas de courant aérien ou aqueux qui puisse leur faire parcourir cet immense trajet. Les mêmes faits se reproduisent, si l’on considère des contrées très éloignées l’une de l’autre dans le sens de l’est à l’ouest. On ne saurait les expliquer raisonnablement à l’aide des connexions géologiques de terres séparées aujourd’hui par

  1. Eriocaulon septangulare, sysirinchium anceps, spiranthes cernua.