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dans les recueils de critique et de controverse, on trouverait toutes les informations nécessaires pour raconter une vie et tracer un portrait, et l’on intéresserait le lecteur sans lui faire aimer peut-être celui dont on l’aurait entretenu. N’en disons que quelques mots. Samuel Coleridge avait vingt-deux ans, lorsqu’en sortant de Cambridge il rencontra à Oxford Robert Southey, encore plus jeune que lui. Il se forma aussitôt entre eux une amitié qui devait être souvent interrompue. Tout alors les rapprochait, mais surtout la poésie et la philosophie. C’était en 1794. Coleride et Southey partageaient l’enthousiasme général pour la révolution française. Ils tardèrent peu à trouver insupportables le séjour et le gouvernement des universités ; ils prirent leur vol du côté du monde. Dans leurs rêves de réforme sociale, ils projetèrent l’établissement d’une colonie de régénération sur les bords de la Susquehannah. Cette colonie devait se composer d’esprits d’élite et s’appeler en conséquence la Pantisocratie. Ils tenaient à réunir douze Socrates seulement comme premiers planteurs, et ils ne furent jamais que quatre. Comme il fallait des fonds pour l’entreprise, les deux amis se mirent à écrire. Songeant dès-lors à l’avenir de la société nouvelle, ils épousèrent les deux sœurs. Malheureusement, en s’occupant des moyens, ils oublièrent bientôt le but. La pantisocratie alla se perdre parmi les songes, et cette vie d’expédiens littéraires par laquelle commencent tant d’hommes de talent fit subir aux deux beaux-frères ses rudes épreuves. Southey pourtant n’eut pas trop à s’en plaindre. De ses premières années datent quelques-uns des poèmes qui comptent encore dans sa renommée. Coleridge, plus méditatif, mais qui disposait moins librement de ses facultés quand il fallait produire autre chose que des pensées, vécut plus péniblement, et lutta longtemps contre les incertitudes de sa destinée et de son esprit. Après avoir publié un volume de vers, il entreprit un journal hebdomadaire, le Watchman, qui devait tomber au dixième numéro. Tout en voyageant pour recueillir des souscriptions, il s’arrêtait le dimanche pour prêcher dans les chapelles unitairiennes, car, ainsi que Southey, il avait commencé son émancipation intellectuelle par l’abandon de l’orthodoxie anglicane. Il était pourtant resté, dit-il, trinitairien ad normam Platonis ; mais il n’avait pas su voir encore la vraie nature de la Trinité dans saint Jean, et prêchait une doctrine qu’il appelle psilanthropique : c’est, je crois, l’arianisme pur. Il convient avoir erré seize mois hors de la foi catholique (on sait qu’un Anglais, par ces derniers mots, n’entend pas la foi de l’église de Rome). Aussi, lorsque Coleridge eut renoncé au Watchman, lors qu’il eut essayé de se faire précepteur, d’ouvrir une école et d’écrire dans les journaux de Londres, il accepta l’invitation de s’établir à Shrewsbury comme ministre unitairien ; il fit son sermon d’épreuve,