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De là pour la première la sympathie illimitée et l’enthousiasme visionnaire, pour la seconde l’orgueil et le zèle de secte, pour nous la vanité et le fanatisme. Par suite, le lot de l’Allemagne est le passé et l’avenir ; celui de l’Angleterre est le passé et le présent ; le présent seul tombe à la France en partage.

De tels jugemens assez saugrenus viennent de l’autre côté du Rhin plutôt que des bords de la Tamise. De là vient aussi cette distinction capitale entre la raison et l’entendement, dont Coleridge a fait un principe auquel il ramène tout. Cette distinction est de Kant, et sert à diviser en deux parties la Critique de la raison pure. L’entendement est l’esprit en tant qu’il agit sur les perceptions ; la raison est l’esprit en tant qu’il opère sur les pures idées. L’un, pour Coleridge, est la faculté d’ordonner et de généraliser les phénomènes sensibles, et comme cette faculté peut prendre pour objets ses propres actes, et qu’elle procède par le jugement et le raisonnement, elle comprend jusqu’à la logique ordinaire. L’autre est l’intuition directe de tout ce qui n’est pas phénoménal, et le pouvoir de connaître les réalités invisibles. L’entendement est la conception du sensible ; la raison est l’organe de ce qui n’est pas du ressort des sens. Elle peut se manifester dans l’entendement, car l’homme raisonne sur tout ce que l’expérience lui manifeste ; mais elle a ses connaissances propres, exclusives, dont le caractère est d’être universelles et nécessaires. Elle est l’œil de l’âme ouvert sur le monde intelligible. Elle est donc par elle-même quelque chose de surnaturel, et toutes les vérités qu’elle atteint directement ont le même caractère, en ce sens qu’elles sont hors du champ de l’observation externe. Tandis que l’entendement s’appuie toujours sur des conditions qui sont hors de lui, la raison ne se fonde que sur elle-même. Aussi est-elle moins une faculté qu’une lumière.

Mais on a confondu sans cesse la raison et l’entendement. Même des théologiens d’un grand mérite, comme Hooker, sont tombés dans cette erreur, et c’était le sûr moyen d’abaisser et d’affaiblir la théologie. Lorsqu’on dit, par exemple, que la religion est supérieure ou opposée à la raison, on veut parler de l’entendement. En effet l’entendement, qui est la faculté de juger d’après les sens et comme la sagesse de la chair, ne peut mettre la religion à sa portée ni l’établir par ses procédés particuliers. De la les doutes de ceux qui n’admettent point d’autre manière de connaître. De là les contradictions, les principes équivoques, la médiocrité religieuse de ceux qui ne veulent éclairer la foi que par la lumière naturelle. La raison au contraire, étant comme un sens spirituel, est le sens de la religion même. Elle contemple les idées, c’est-à-dire les choses invisibles et éternelles ; elle s’identifie en quelque sorte avec elles, à ce point