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n’avait pas la réputation d’Eton, et à cette époque toutes ces institutions étaient accusées de relâchement dans la discipline. Arnold était l’homme de la réforme : il la voulait en tout, mais principalement en morale. Il regardait comme son œuvre de choix, comme sa vocation, la conversion de ses égaux, c’est-à-dire la conversion des gens bien élevés ; son but était de faire des gentlemen chrétiens. On ne saurait raconter ici son administration, qui dura quatorze ans, autant que sa vie, et réussit pleinement. Quoiqu’il eût réfléchi sur toutes les parties de l’éducation, et que dans toutes il se conduisît par des principes, on aurait de la peine à distinguer sa méthode de lui-même. Il avait beaucoup d’ardeur et de fermeté, de sensibilité et de caractère. Il était ne pour l’influence, et même pour la domination. À la fois directeur et pasteur du collège, car il avait reçu la prêtrise en y entrant, il unissait le gouvernement des esprits à celui des consciences. Seulement c’était à quelques égards un gouvernement libre, car, encore que sévère pour la discipline, il s’attachait surtout à exciter par la parole les sentimens que d’autres se bornent à prescrire. Il voulait que ses élèves fissent le bien par eux-mêmes, et n’estimait pas les vertus d’emprunt ni de commande. La religion était surtout pour lui un principe de régénération intérieure ; mais il aimait à lui faire consacrer toutes les vertus du monde, tout ce qu’on devait admirer dans l’histoire, estimer dans la vie publique ou privée. Enfin il associait la jeunesse qui l’entourait au sentiment de noble ambition qu’il portait dans son ministère, et lui faisait un point d’honneur de soutenir la dignité de l’institution dont il était le chef. C’est ainsi qu’il a réussi à former plusieurs générations de jeunes Anglais qui ont apporté de nouvelles mœurs et un nouvel esprit dans les universités, et quoique dans celle d’Oxford ses opinions aient toujours été tenues pour suspectes, la même il a fallu reconnaître, après de longues hésitations et de vives critiques, qu’il avait rendu à l’instruction publique un service éminent. Ses élèves ont montré par leurs succès dans les concours que susciter dans toute sa force le sentiment du devoir n’était point comprimer l’essor de l’intelligence et de l’imagination. Lorsqu’ils se sont ensuite répandus dans la société, ils ont honoré son enseignement et propagé sa réputation. Les souvenirs de Rugby accompagnent leur vie, comme ceux d’une famille révérée. Son autorité se prolonge après lui et les guide dans la carrière. C’est d’eux que le public, qui ne l’a pas connu, a appris à parler d’Arnold avec respect.

Tout cela ne s’est pas opéré du premier coup. Il était trop décidé et trop entreprenant pour ne pas se faire d’ennemis, pour ne pas rencontrer d’obstacles. Incapable de haine comme de dissimulation, il ne prévoyait pas l’inimitié. Ce n’était pas d’ailleurs un esprit prudent,