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et ses opinions avaient leur singularité. Pendant les premières années, il eut des luttes à soutenir, au dehors, il est vrai, plus qu’au dedans. On critiqua ses principes, on mit en doute son succès ; mais l’expérience lui donna raison, et ses ennemis même n’osèrent élever la voix, lorsque lord Melbourne lui offrit la direction du collège de Manchester, qu’il refusa, et la chaire de professeur royal d’histoire moderne à Oxford, qu’il accepta. Il avait toujours ambitionné de rentrer avec une autorité reconnue dans cette université, dont il chérissait les souvenirs classiques en détestant ses doctrines politiques et religieuses. Le 2 décembre 1841, sa leçon inaugurale eut lieu en présence d’une foule inaccoutumée. Il y donna d’une manière générale sa définition de l’histoire moderne, et vers le carême de l’année suivante, il développa cette définition dans huit leçons consécutives qui obtinrent un succès éclatant. Il revint ensuite à Rugby, et le 11 juin 1842 il mourut presque subitement d’une maladie du cœur.


XIV

Voilà donc toute la vie d’Arnold : des études universitaires, quelques éducations particulières dans un pensionnat privé, quatorze ans d’administration d’un collège, le commencement d’un cours d’histoire. C’est la vie de bien d’autres bons serviteurs de l’instruction publique, mais personne ne parle d’eux, et tout le monde en Angleterre connaît Arnold. Sur aucun sujet, ses opinions ne sont regardées comme indifférentes. Aux derniers temps de sa vie, on regret tait qu’il se fût enfermé dans l’ombre des classes ; on l’appelait sur une plus grande scène : quoi qu’il entreprît, on disait qu’il réussirait, que partout, où il mettrait, le pied, il dominerait. Pour lui, il croyait avoir choisi la meilleure part, rien ne lui paraissant plus important, plus grand peut-être que son entreprise. L’éducation publique était après tout le moyen le plus sûr et le plus direct de préparer cette réforme, la pensée de toute sa vie. Tout dans ses travaux a convergé vers ce but. Ses ouvrages mêmes ne sont que des actes de la mission qu’il s’était donnée. Aucun peut-être n’est un ouvrage assez fini, aucun ne paraîtrait égal à sa réputation, parce que tous ont été conçus dans une autre vue que la perfection de l’art. En écrivant, il voulait agir encore. Il n’est pas jusqu’à son édition de Thucydide qui ne fût faite en vue de l’état politique de son pays. Il avait beaucoup réfléchi ; ses principes n’étaient point improvisés, ses œuvres l’étaient presque toujours, car il cherchait l’utilité et non la gloire. On comprend de quelle utilité il s’agit : il voulait être utile au vrai, au bon, au juste ; il ne pensait qu’au salut des hommes.