Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/528

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et du progrès. L’esprit conservateur lui était suspect et même odieux. Il qualifie d’horreur le sentiment qu’il lui porte. L’égoïsme aristocratique ou ecclésiastique, la passion de dominer oisivement, une dédaigneuse insensibilité pour toutes les souffrances, pour toutes les infirmités morales du plus grand nombre, voilà ce qu’il reproche, l’histoire à la main, aux tories de son temps comme à ceux de toutes les époques. Leurs adversaires sont loin de lui inspirer pourtant une entière sécurité. Il les trouve trop entichés des doctrines philosophiques du siècle, trop confians dans la vertu de l’économie politique, trop enclins au benthamisme ; les principes mêmes de 1789 ne sont pas son idéal. La doctrine exclusive des droits, si elle n’est tempérée par une haine vigoureuse du mal moral, par la soumission à un maître suprême, par le sentiment régulateur de la charité, lui semble susceptible d’amener la licence révolutionnaire. Il redoute le jacobinisme, c’est-à-dire l’esprit qui ne connaît que l’union sans règle de la volonté et de la violence ; il craint le fanatisme d’une seule idée comme le premier conseiller du crime ; mais ce sont la des fléaux qui n’ont pas pour date unique 1793. Il les retrouve à d’autres époques de l’histoire, au temps de la féodalité par exemple et de la chevalerie, et il les hait également. « Je déteste le jacobinisme de la liberté, dit-il ; comment ne détesterais-je pas le jacobinisme de l’oppression ? » Plus d’une fois, dans les vingt dernières années de sa vie, il crut le voir prêt à ressaisir le continent sous la forme révolutionnaire, et même à pénétrer jusque dans sa patrie. Il ne cacha pas son effroi, mais pas une seule fois il n’eut l’idée de se jeter de terreur dans la réaction. Les fautes du passé ayant amené les maux du présent, revenir au passé lui semblait répéter les fautes pour aggraver les maux. L’esprit conservateur, légitime en soi, lui paraît condamné dans ses actes par l’histoire de tous les temps. La réforme seule, la réforme accompagnée d’un sentiment profond des souffrances sociales et d’une sévérité inflexible pour le mal dans les principes et dans les faits, telle fut en tout temps sa politique. Il voulait réformer, non pour plaire, mais pour guérir. C’était donc au fond la réforme morale qu’il cherchait dans la réforme politique, et comme elle ne pouvait être morale si elle n’était religieuse, ce qu’il voulait réformer avant tout, c’était l’église.

En religion comme dans le reste, Arnold était lui-même. On trouverait difficilement son pareil dans le christianisme, et cependant il est protestant, exempt d’hétérodoxie dogmatique. Il professe la foi de son église, mais, en adhérant à ses symboles, il refuse à des formules écrites l’importance qu’on y attache autour de lui. La théologie ne fait pas le chrétien. Puisque Jésus-Christ est venu convertir les nations, il y a des sociétés chrétiennes, et la société chrétienne est l’église véritable. Le Christ cependant n’a pas fondé, il n’a