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Il ne l’attendait ni de la violence, ni du préjugé. Rien de ce qui les dégrade ne lui paraissait digne de les gouverner ni propre à les contenir, et personne cependant n’était moins porté à les flatter. Il les aimait de cet amour austère et tendre qui repousse les illusions et s’interdit les faiblesses. Encore plus que la passion du bien, il avait l’horreur du mal. Il ne cherchait point à le cacher ni à l’amoindrir, ce qui est une manière de l’aimer : il le reconnaissait de loin, l’appelait par son nom et l’attaquait intrépidement ; mais dans cette lutte il ne perdit jamais une conviction ni une espérance. Jamais, par lassitude, il ne fit appel à l’erreur et à l’ignorance, faute de pouvoir vaincre par la vérité. Il savait en qui il croyait, et, pas plus que saint Paul, il n’aurait invoqué l’esprit de servitude. La grande originalité d’Arnold, c’est d’avoir été religieux avec enthousiasme, pur jusqu’au stoïcisme, juge sévère des vices et des erreurs de son temps, et avec cela le plus libéral des hommes.

J’en citerai une preuve qui nous intéresse. Au mois de juillet 1830, il voyageait en Italie, et il venait de quitter Venise pour entrer en Tyrol, lorsqu’à Bludenz dans le Voralberg il vit, après une belle journée, le ciel s’obscurcir vers cinq heures du soir, et se manifester tous les signes d’un de ces grands orages des Alpes. C’est en ce moment que le maître de poste, qui lui donnait des chevaux, lui dit : « Ça va mal en France. » Cette parole et l’explication qu’il en trouva sur sa route le décidèrent à presser son voyage. Il était à Bonn au près de Niebuhr, lorsqu’on vint leur annoncer l’avènement de la monarchie du 7 août, et il fut témoin de la joie enthousiaste que fit éclater Niebuhr à cette nouvelle. Lui-même il écrivait peu après à ses amis : « Vous verrez mon nom parmi les souscripteurs pour secourir ceux qui ont souffert à Paris. C’est, ce me semble, une bien heureuse révolution, irréprochable au-delà de tout exemple dans l’histoire, et le plus glorieux exemple d’une rébellion royale contre la société, — promptement et énergiquement réprimée, — dont le monde ait été témoin. » Je ne transcrirai pas1 tout ce qu’il ajoute, ni cette autre lettre où, après avoir dit qu’il admire la révolution de France, qu’il l’admire cordialement et entièrement, il termine par cette déclaration : « Il convient à tout individu, plus encore à tout homme d’église, et surtout à tout homme d’église dans un emploi public, d’exprimer cette opinion publiquement et résolument. » Et voilà pourtant comme alors on parlait de la France, voilà comme la vertu parlait de la liberté.

Ce n’est pas qu’Arnold mît au-dessus de tout l’intérêt de la liberté. Après avoir vu de près le torysme à Oxford, il en sortit whig, se déclara tel et vota constamment pour les whigs, il les préférait de beaucoup, mais il ne les suivait pas en tout. Ce qui l’attachait à eux encore plus que l’intérêt de la liberté, c’était l’intérêt de l’amélioration