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On s’est habitué à voir dans Athènes l’origine des enseignemens académiques. C’est une opinion que l’histoire ne justifie pas, et cependant elle continue à régner en souveraine. La comparaison des ouvrages les plus célèbres ou les plus purs qui décorent les galeries de Rome et de Florence, de Londres et de Paris, est le plus sûr moyen de ruiner cette opinion et de populariser la vérité. Quand on prend la peine d’aller au fond des choses, on ne tarde pas à s’apercevoir que la Grèce n’a rien à se reprocher, qu’elle est parfaitement innocente du crime qu’on lui impute, et que, loin d’autoriser les enseignemens académiques, elle les condamne et les réfute par les œuvres qu’elle nous a laissées. Ce que j’avance est facile à prouver, et la preuve est faite depuis longtemps. Pour ceux qui ont souci des transformations de la pensée humaine et des manières diverses dont la beauté a été comprise et rendue avant l’avènement de la foi chrétienne, c’est presque un lieu commun ; mais cette vérité, vulgaire pour un petit nombre, est généralement ignorée. Les parleurs, les beaux esprits qui s’écoutent volontiers, et qu’on écoute sans défiance, confondent assez souvent Rome avec Athènes. Ils mettent sur le compte de l’école attique des ouvrages que le dernier élève de Phidias n’aurait pas voulu signer. L’auditoire, émerveillé de leur faconde, ne songe pas à douter de leur savoir. Ils n’affirmeraient pas si résolument un fait sur lequel ils ne posséderaient que des notions confuses ou incomplètes. Puisqu’ils accusent la Grèce, c’est qu’ils sont bien informés. Les arrêts qu’ils prononcent sont accueillis avec respect, et pourtant neuf fois sur dix leur colère ne s’adresse qu’à des ouvrages qui ne remontent pas au-delà du gouvernement des empereurs.

L’ignorance des désœuvrés à cet égard ne doit pas nous surprendre. Parmi les peintres et les sculpteurs de notre pays, il l’en a bien peu qui connaissent l’histoire de l’art qu’ils pratiquent. Ceux qui sont doués d’une intelligence délicate se méprennent rarement sur l’origine d’une statue ou d’un tableau : ils ont pour se décider des motifs tout puissans où l’érudition n’a rien à revendiquer ; mais ils ne pensent guère à étudier les grandes écoles qui se partagent le passé. À part les hommes d’élite que la nature même de leurs facultés prémunit contre l’indifférence, les peintres et les sculpteurs se livrent tout entiers à l’exercice de leur profession. Ils négligent volontiers ce qui n’a pas à leurs yeux le mérite de l’utilité immédiate. Je crois qu’ils ont tort, et qu’ils agiraient sagement en cherchant à savoir ce qu’ont tenté, ce qu’ont voulu leurs devanciers. Il y a dans l’enseignement public des arts du dessin une lacune qu’il ne faut pas se lasser de signaler : l’histoire spéciale de la peinture et de la sculpture. Tant que cette lacune ne sera pas comblée, nous devrons