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pourrait sans doute s’exprimer avec plus de simplicité, mais le mouvement du personnage principal n’a rien qui ne soit vrai dans le sens le plus rigoureux du mot, et cette remarque suffit pour justifier dans une certaine mesure le parti adopté par l’artiste grec. La scène pourrait se passer autrement, mais elle peut se passer ainsi, et l’on ne doit pas oublier qu’on a devant les yeux un prêtre de Neptune, c’est-à-dire un homme qui rapporte aux dieux la douleur comme la joie. En présence de la mort, il tourne ses regards vers le ciel, et cette pensée donne à son agonie une majesté qui paraîtrait singulière chez un autre personnage. Tout en reconnaissant que la grandeur du sujet se concilierait très bien avec un mouvement plus simplement conçu, je pense donc que l’auteur n’a pas complètement sacrifié la vérité à l’effet théâtral. Les contractions du visage expliquent la ligne choisie pour le torse et pour les membres.

Si nous abordons la forme après avoir étudié le côté expressif de cette œuvre, nous sommes forcé d’admirer la science profonde qui se révèle dans les moindres détails, et surtout dans les grandes di visions musculaires. Ceux qui se complaisent dans la représentation littérale du modèle vivant blâment sévèrement les grandes divisions que je signale comme un des mérites principaux de ce groupe si souvent remis en discussion. Ils ne trouvent ni dans le torse ni dans les membres ce qu’ils ont vu, ce qu’ils voient chaque jour, et comme ils placent le témoignage de leurs yeux au-dessus de toutes les lois consacrées par l’art antique, ils s’étonnent naïvement des louanges prodiguées au Laocoon. Ils ne comprennent pas qu’une figure puisse être belle quand elle ne reproduit pas exactement le modèle vivant. Lors même que leur accusation serait fondée, la cause qu’ils défendent ne serait pas gagnée ; mais la figure dont je parle n’est pas si loin de la réalité qu’ils se plaisent à le dire. Sans interroger la Grèce ou l’Italie, sans sortir de France, on trouve des modèles qui présentent des divisions musculaires pareilles à celles du Laocoon. Seulement ce n’est pas dans le centre ou dans le nord de notre pays qu’il faut aller les chercher, mais bien dans le voisinage de l’Espagne. Les pâtres, les lutteurs des Pyrénées réfutent le reproche d’invraisemblance adressé trop légèrement à la partie plastique de cet ouvrage. Avant d’affirmer que la forme manque de vérité, il serait sage de se demander si le modèle humain est partout le même. Or les ateliers de Paris fournissent à cet égard de nombreux documens ; le climat, la configuration du terrain modifient singulièrement l’aspect du modèle humain, et l’artiste grec, lors même qu’il se fût proposé de copier fidèlement ce qu’il voyait, sans rien retrancher, sans rien ajouter, n’aurait pas réussi à contenter les partisans de l’imitation, qui simplifient leurs études en négligeant toute comparaison.