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grouper trois figures ou de composer un bas-relief, pour peu que les personnages soient empruntés à l’histoire, voire à la mythologie, les imitateurs les plus habiles du modèle vivant hésitent, tâtonnent, et ne savent quel chemin prendre pour toucher le but qui leur est assigné. Ils ont beau s’obstiner dans leur opinion, ni l’histoire ni la mythologie ne se laissent deviner. Pour traiter librement un sujet tiré du passé, emprunté aux traditions authentiques ou fabuleuses, il faut avoir des provisions faites. Un livre interrogé la veille, à la page qui explique le sujet proposé, ne peut susciter toute une famille de pensées. Le temps seul peut féconder la semence recueillie dans les livres. Les sculpteurs étrangers aux études littéraires s’informent à la hâte des choses qui leur sont nécessaires, et six mois plus tard ils sont obligés de recommencer leurs investigations. Chaque fois qu’ils ont à traiter un sujet nouveau, pour ménager leur temps, ils n’apprennent rien au-delà de l’action qu’ils doivent représenter, — et, pour n’entasser dans leur mémoire que des souvenirs incomplets, ils dépensent un si grand nombre d’heures, qu’ils auraient plus tôt fait d’étudier d’avance une bonne fois une suite d’actions dont l’ignorance pèsera sur toute leur vie.

Ceux qui veulent réduire la sculpture à l’imitation du modèle vivant récusent l’autorité de la Grèce. Chaque nation a son génie et ses destinées. Pourquoi la France, dans le domaine esthétique, essaierait-elle de régler sa conduite sur un passé déjà si loin de nous ? Cette question passé auprès de bien des gens pour un argument décisif. Je pourrais me dispenser d’y répondre, car ceux qui la posent ne connaissent pas mieux la France que la Grèce ; mais je consens à la prendre au sérieux. On demande pourquoi la France prendrait la Grèce pour guide et pour conseil. Interrogeons la France elle-même, et voyons ce qu’elle répondra. Quels sont les plus grands noms de la sculpture française, ceux qui dominent notre histoire tout entière, dont personne n’oserait contester l’autorité ? Toutes les voix se réunissent pour désigner Jean Goujon et Pierre Puget. Jean Bullant et Germain Pilon, Girardon, Lepautre et les trois Coustou, ne sauraient se comparer à l’auteur de la Diane, à l’auteur du Milon. Ces deux maîtres ne sont ni d’Égine, ni d’Athènes, ni de Sicyone. Eh bien ! soutiendra-t-on qu’ils ont dépensé toute leur vie dans l’imitation du modèle vivant ? Une pareille thèse aurait certainement le mérite de l’originalité. On affirme, je le sais, que la Diane est un portrait ; mais cette affirmation ne résiste pas à l’examen. Si j’excepte la coiffure, qui n’est pas œuvre de fantaisie, je ne vois dans la figure entière qu’une libre interprétation du modèle vivant. Que Jean Goujon, pour plaire à l’amant de Diane, ait consenti à reproduire fidèlement quelques détails réels, je l’admets volontiers ; mais