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jamais tant qu’elle supprimera le libre exercice de la pensée. Il y a lieu de croire que l’auteur de cet admirable ouvrage avait comblé par des études solitaires les lacunes de sa première éducation, ou que du moins il avait acquis un certain nombre d’idées générales qui relevaient au-dessus de ses contemporains. Ce qui demeure évident, c’est que, malgré la prodigieuse habileté de sa main, il s’est attaché à mettre une pensée dans toutes ses œuvres. L’Andromède, l’Alexandre et le Milon montrent clairement que pour lui le maniement du ciseau ne résumait pas toute la statuaire. Avant de fouiller le marbre, il méditait longtemps sur l’idée qu’il voulait exprimer, et c’est par ce procédé laborieux qu’il arrivait à la grandeur. Supprimer, ajouter, sacrifier, exagérer, voilà les deux principes qui ont dominé toute sa vie, et l’application de ces deux principes a marqué sa place parmi les noms les plus glorieux.

On a souvent répété que David d’Angers s’en tenait à l’imitation de la nature et ne rêvait rien au-delà. C’est une erreur excusable chez les gens du monde, mais impardonnable chez les hommes qui s’occupent de l’histoire des arts du dessin. Sans parler de la statue de Racine et de la statue du général Foy, qui très certainement ne sont pas réelles dans le sens prosaïque du mot, je puis me contenter des bustes et des médaillons qui ont popularisé le nom de cet artiste éminent. Il avait fait du masque humain une étude si assidue, qu’il était arrivé à saisir en quelques minutes les signes caractéristiques de chaque physionomie, et son ébauchoir traduisait fidèlement ce que son regard avait deviné. Les bustes et les médaillons de David ne sont pas des copies de la nature, mais de savantes interprétations des modèles qui ont posé devant lui. L’accent individuel du visage est rendu avec une fermeté, une énergie qui attestent chez l’auteur une rare pénétration. On peut dire sans exagération que les portraits sont plus faciles à comprendre que les originaux, car le sculpteur a pris soin d’amoindrir, parfois même d’effacer les détails sans importance, afin d’appeler l’attention sur les parties du visage qui ont une signification déterminée, et le travail de son ébauchoir devient ainsi un excellent commentaire sur l’historien, le poète ou l’homme d’état dont il nous offre l’image. Si c’est la ce qu’on appelle imiter la nature, il faut avouer que les mots sont un peu de tournés de leur sens naturel. Si l’on confond l’accent individuel, les signes caractéristiques du modèle avec la reproduction littérale et complète de tout ce que l’œil aperçoit en l’étudiant, c’est une étrange manière de comprendre le côté réel de la sculpture. En laissant à chaque mot sa valeur légitime, on est amené à dire que les portraits de David, bustes et médaillons, loin d’appartenir à l’imitation pure, sont au contraire une des manifestations les plus éclatantes de la