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pensée libre et volontaire. Pour les yeux sans clairvoyance, il modelait ce qu’il voyait ; pour les yeux pénétrans, il s’attachait à exprimer ce qu’il pensait de l’homme qui posait devant lui. Avant d’aborder le travail de l’ébauchoir, il s’efforçait de pénétrer, de deviner le caractère qu’il voulait représenter. Ceux qui ont pu comparer les portraits aux originaux s’accordent à dire que David s’est rarement trompé dans le sens qu’il a donné aux physionomies. Depuis la vanité puérile jusqu’à la volonté persévérante, depuis l’intelligence inactive jusqu’à la fièvre de l’ambition, il a tout saisi, tout rendu avec une étonnante fidélité. Un portrait littéral peut plaire par la ressemblance aux amis, à la famille du modèle. Pour intéresser, pour instruire les contemporains et les générations futures, il faut quelque chose de plus, et David l’avait bien compris.

Personne n’a jamais songé à chercher dans Pradier l’imitation fidèle de la nature. Le souvenir des œuvres de l’antiquité a joué dans sa vie un rôle trop évident, trop constant pour qu’une pareille pensée se présente à l’esprit le plus étourdi. Inhabile à inventer, mais doué d’un sentiment très fin de la forme, il voyait dans une heureuse combinaison de lignes le triomphe de son art. Loin de le revendiquer comme sien, l’école réaliste ne sait pas même lui rendre justice ; elle consent à peine à lui accorder une place dans l’histoire. Cependant Il y a dans Pradier autre chose que le souvenir du passé. Trop souvent, il est vrai, il s’est contenté de changer les proportions d’une figure connue depuis longtemps, ou d’en altérer le mouvement. Ce n’est là qu’une face de son talent. En même temps qu’il aimait son art avec passion, il recherchait avidement la popularité, et comme il entendait dire chaque jour que la plus évidente révélation du talent se trouve dans la reproduction de la nature, sans le croire, il fit semblant de n’en pas douter. Pour suivre la mode, il se mit à copier plusieurs parties du modèle vivant. Sa prodigieuse habileté dans ce nouveau genre de travail frappait d’étonnement tous ceux qui pouvaient compter les difficultés vaincues ; mais les hommes doués d’un goût délicat, tout en admirant la souplesse et la vie qu’il savait donner au marbre, regrettaient de voir des parties littéralement copiées sur la nature ajustées avec d’autres parties copiées non moins fidèlement sur une œuvre antique. Ces excursions dans le domaine de la réalité, applaudies à outrance par les gens du monde, étaient désavouées par la raison. Le souvenir du modèle vivant associé au souvenir des marbres grecs produisait un ouvrage sans unité, sans harmonie. Ainsi non-seulement Pradier n’appartient pas à l’école réaliste, mais toutes les fois qu’il a fait une concession aux doctrines proclamées par cette école, il est demeuré au-dessous de lui-même. À mon avis, il eût agi plus