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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/556

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et reproduire l’enchâssement des yeux : plus ils multiplieront les détails, plus ils s’éloigneront de la vie.

Barye à ses débuts ne rêvait rien au-delà de la réalité, il est du moins permis de le penser. Le lion placé dans le jardin des Tuileries, à droite au bas de la terrasse du bord de l’eau, qui tient dans ses griffes un serpent, n’est qu’une imitation très fidèle du modèle vivant. Le lion accroupi, qui fait face au premier, est conçu d’après une doctrine plus élevée, et malgré l’imperfection de la fonte, il est impossible de n’y pas reconnaître un mérite d’un ordre supérieur. Dans ce dernier ouvrage, tout est simplifié, agrandi. Les détails sans importance sont supprimés, et les masses musculaires, énergiquement accusées, attirent d’abord l’attention. Quant à la forme de la tête, quant à la voûte des orbites, elles sont comprises et rendues de façon à contenter ceux qui ont vu et revu le modèle. Ainsi Barye a reconnu l’insuffisance de l’imitation. À mesure que le champ de sa pensée s’élargissait, il s’éloignait de son point de départ, et donnai à sa manière plus de franchise et de hardiesse. Consultant la nature à toute heure, il consultait en même temps le souvenir des belles œuvres qu’il avait contemplées, et il s’élevait jusqu’à la vérité idéale. Si les derniers groupes qu’il a composés pour la décoration du Louvre n’étaient pas placés si loin du regard, la foule comprendrait le vrai caractère de son talent. Il y a dans ces groupes, dont les modèles en plâtre ont été admirés de tous les connaisseurs, des hommes, des enfans, des animaux. Eh bien ! toutes les figures sont traitées avec une liberté, une souplesse qui révèlent chez l’auteur la ferme volonté de montrer non pas ce qu’il a vu, mais ce qu’il a conçu. L’étude de ces beaux ouvrages ne permet pas de croire que Barye dédaigne les traditions de l’art antique. La manière ingénieuse dont il a exprimé la paix et la guerre, son respect pour l’harmonie linéaire, indiquent assez clairement qu’il a vu des bœufs et des chevaux ailleurs que dans les pâturages et les haras. Je voudrais voir ces groupes fondus en bronze, mais fondus à la cire, et placés dans le jardin des Tuileries. L’auteur prendrait alors dans l’opinion publique le rang qui lui appartient. On saurait qu’il n’est pas moins habile dans l’expression de la forme humaine que dans la représentation des animaux, ce qui paraît généralement ignoré, et l’on se demanderait avec surprise comment un talent si fin et si hardi a trouvé si peu d’occasions de révéler toute sa valeur. Que mon vœu s’accomplisse ou qu’il soit dédaigné, j’ai le droit d’affirmer que Barye voit dans la sculpture autre chose que l’emploi de l’œil et de la main. S’il copie habilement, quand il lui plaît de copier, son ambition va plus loin, et l’exercice de la pensée n’a pas pour lui moins d’importance que le maniement de l’ébauchoir.

Ainsi ni David, ni Pradier, ni Barye, n’appartiennent à l’école