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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/557

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réaliste, et j’ai nommé les sculpteurs les plus habiles de notre temps. Que faut-il de plus pour déterminer la valeur de cette doctrine ?

J’ai voulu démontrer l’insuffisance de l’imitation dans la statuaire, je pourrais m’arrêter ici ; cependant il me semble utile de produire un dernier argument, que je trouve dans les destinées de l’art grec. Je néglige à dessein tous les tâtonnemens qui ont précédé la grande école d’Athènes, dont le chef s’appelle Phidias. J’omets jusqu’à l’école d’Égine, qui occupe dans l’histoire un rang si élevé. Je prends pour point de départ l’art grec parvenu à sa perfection, et le récit des vicissitudes auxquelles il a été soumis confirme pleinement les conclusions énoncées plus haut. Phidias procède à la fois de l’imitation et de la réflexion ; en même temps qu’il étudie le modèle vivant, il cherche constamment l’expression de l’idéal, et les figures du Parthénon sont le fruit de ce double travail. En possession de la beauté suprême, autant du moins qu’il est donné à l’homme de la posséder, l’art grec ne tarde pas à déserter les cimes de la pensée. Polyclète, pour plaire aux amans de la nouveauté, amoindrit la part de l’idéal et fait à l’imitation une part plus abondante. Il a si bien compris le goût de son temps, que dans un concours il l’emporte sur Phidias. Sans oublier complètement l’intelligence, il s’attachait surtout à flatter les sens, et par l’application de cette méthode il conquit une rapide popularité. Toutefois, si pour les connaisseurs d’Athènes Polyclète n’avait pas la même valeur que Phidias, il ne combattait pas encore ouvertement les doctrines de son rival. Malgré sa prédilection pour le côté sensuel de la beauté, il tenait compte de l’invention, et ne prenait pas le témoignage de ses yeux pour la seule règle de son art. Il sentait que la génération nouvelle donnait aux appétits plus d’importance que la génération précédente, et suivait la pente de son temps, mais sans vouloir pourtant heurter de front le goût des spectateurs élevés à une école plus sévère. Si c’est à lui, comme le pensent quelques antiquaires, que nous devons attribuer la Vénus de Milo, nous sommes forcé de reconnaître que sans les œuvres de Phidias il serait pour nous le type de la perfection. Si nous n’avions pas sous les yeux les débris du Parthénon, la Vénus de Milo serait admirée sans réserve, sans discussion ; on n’oserait pas se demander si l’art peut aller plus loin. Les Athéniens, dont le goût était plus délicat que le nôtre, mesuraient sans effort l’intervalle qui sépare Polyclète de Phidias. Ils sentaient ce que nous comprenons, ils devinaient ce que l’étude nous révèle.

Plus tard, le rôle de l’idéal s’amoindrit encore. Désespérant de lutter avec les deux maîtres dont je viens de parler, Callimaque et Démétrius s’attachent à la reproduction littérale des moindres