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soit niaiserie, soit perfidie, font rentrer les Méficis comme simples citoyens. Il y a un certain Balthazar Carducci qui parle avec l’énergie de Caton et aussi vainement que lui. Il y a un Francesco Carducci qui s’écrie : « Si vous vous arrangez avec le pape Clément, vous jouirez paisiblement de cette portion de vos dignités et de vos biens qui sera épargnée par l’avidité de ceux qui cherchent à vous opprimer : ce sera l’éternelle infamie de vous-mêmes et de ce malheureux temps ; mais si vous êtes résolus à vous maintenir dans cette liberté tant célébrée par vous en paroles, il vous faut l’embrasser comme une chose plus chère et plus précieuse que vos richesses, que tout plaisir, que la vie elle-même. »

L’enthousiasme public répondit à ces nobles paroles du gonfalonier et soutint les Florentins dans ce mémorable siége de 1529, dont malheureusement le récit par Pitti est perdu avec plusieurs livres de son histoire. Cette histoire n’en est pas moins un ouvrage très important et donnerait un grand prix à ce volume, quand même il n’en tirerait pas un plus grand encore de plusieurs excellens morceaux dont M. Gino Capponi a accompagné divers documens. On y sent la main d’un maître, on y remarque une élévation, une vigueur, quelque chose de substantiel et de condensé qui rappelle la brièveté forte des historiens de l’antiquité. L’art avec lequel Laurent de Médicis établit sournoisement la tyrannie est peint au vif. On voit comment il se servit d’une assemblée qui lui était soumise « pour opprimer par l’autorité des votes, subjuger par les séductions, acheter avec de l’argent ou amollir par les douceurs d’une vie tranquille les amis de la liberté… Laurent et ses amis purent jouir d’un de ces temps heureux dans lesquels les peuples n’ont pas d’histoire ; mais cette sorte de félicité prépare toujours des calamités sans remède, parce qu’elle détruit dans l’homme la vie intérieure et cette force de volonté qui seule peut les prévenir. »

À propos du traité passé entre la république florentine et Clément VII (1492), pièce importante publiée pour la première fois dans l’Archivio, M. Capponi trace en quelques pages une appréciation des destinées de Florence où il se montre politique à la façon de Polybe. Il signale dans sa perpétuelle inquiétude démocratique le principe de sa grandeur et de sa faiblesse. « Elle vécut trois siècles, ses beaux siècles, dans un état de révolution continuelle, lequel, poussant tout le peuple jusqu’au dernier artisan dans les agitations de la vie publique, compensait largement les désordres qu’il faisait naître par l’énergie qu’il inspirait, mais en même temps, poussant à une végétation forcée la vitalité de ce peuple, la consumait avant le temps… Nous devons envier cette activité qui fut accordée aux âmes des hommes de ce temps-là, et maudire ces félicités passées à cause