Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/647

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

altérations, et il serait curieux d’en voir la contre-partie écrite par les Japonais eux-mêmes. Comme ils ne publient pas de journaux, il est facile de leur faire dire ce qu’on veut.

La réponse au roi de Hollande, que je viens de citer, indique la politique des Japonais. Quoi qu’on en dise, je crois qu’il faudra du temps encore pour renverser complètement la barrière qu’ils élevèrent si énergiquement en 1639, barrière qui n’aurait jamais existé, si de fatales expériences n’eussent trompé au début toutes leurs sympathies pour les étrangers. Nous avons vu que les premiers établissemens des Portugais furent favorisés de toutes les manières et presque au-delà des avantages dont jouissaient les habitans eux-mêmes : les ports ouverts, le commerce libre et sans entraves, des alliances de familles recherchées, des églises chrétiennes non-seulement tolérées, mais encouragées et protégées jusque dans la ville sainte des Dayris, des conversions innombrables dans toutes les classes de la société, la protection impériale pour les chrétiens, malgré les plaintes, longtemps repoussées, du clergé japonais[1] ; enfin le respect qu’on avait encore pour les Portugais et les Espagnols, même après les terribles édits de 1637, dont on cherchait toujours à éloigner les effets. Que voyons-nous en retour de tout cela ? Des lois violées par ces derniers, des édits sévères méprisés, des prédications violentes contre les ordres de l’empereur, l’intention évidente de faire servir la religion à la domination étrangère, comme cela se pratiqua du reste partout où pénétrèrent alors les Portugais.

Qui ne connaît l’anecdote de ce capitaine espagnol, qui, montrant avec fierté sur la carte les vastes états de son maître et les conquêtes du Nouveau-Monde, dit à un grand seigneur japonais que le roi d’Espagne les tenait du pape, qui était le dispensateur absolu de tous les pays où pénétrait le christianisme. La morgue et la fierté du clergé catholique étaient telles qu’un évêque, rencontrant un jour un des plus grands personnages de la cour, qui voyageait comme lui en palanquin, refusa non-seulement de lui témoigner les égards de la plus simple politesse, mais encore ordonna à ses valets de le dépasser brutalement. Ces deux circonstances, racontées à l’empereur, n’auraient pas été, dit-on, sans influence sur ses décisions[2]. L’arrivée de nouveaux prêtres malgré les édits, les excitations à la révolte, la lettre au roi de Portugal saisie et rapportée aux autorités japonaises, la lettre au gouverneur de Macao contenant le plan d’une vaste conspiration

  1. Qu’en se demande si les Japonais, venant prêcher ouvertement en Europe les doc trines de Sinto et de Confucius, auraient trouvé à cette époque, où l’on dépouillait les juifs, où l’on brûlait les protestans, les avantages commerciaux et la tolérance religieuse dont les Européens au début jouirent au Japon.
  2. Voyez Kaempfer, règne de Taïko-Sama.