Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/65

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
61
L’HISTOIRE ET LES HISTORIENS DE L’ITALIE.

sur la fabrication des étoffes de laine et de soie ; Lucques était surtout célèbre par ces dernières. On y voit qu’il était défendu à tout citoyen lucquois de teindre ou faire teindre, de tisser ou faire tisser, d’ouvrer ou faire ouvrer soie ou tissus de soie quelconques hors de la ville et du district de Lucques. De cet accaparement de l’industrie nationale il n’y a qu’un pays excepté, c’est la France. Pour ceux qui désobéiraient à ces arrêtés, leurs biens seront confisqués, et si on peut le saisir, homme il sera pendu, femme elle sera brûlée, concremetur et comburetur. Ainsi dans cette république on était loin de la notion, vulgaire aujourd’hui, même dans des pays très peu libres d’ailleurs, de la liberté du commerce. La décadence de la république de Lucques date d’un homme qui y joua un rôle brillant, mais funeste, le célèbre Castruccio. « Ses actions, dit Tommasi, le montrent toujours habile à profiter des événemens, prompt à accomplir les plus difficiles entreprises, et évitant prudemment les périls ; mais ces qualités sont souillées d’une tache indélébile. À peine admis à rentrer dans sa patrie, il en prépara la ruine ; tous les malheurs dont elle fut victime depuis doivent être attribués à la trahison de Castruccio… Voilà, ajoute l’historien, la seule accusation, mais très grave, dont nous ne pouvons l’absoudre. » Il me semble que c’est bien assez.

La tyrannie la plus rude est celle qu’un peuple fait subir à un autre peuple ; il vaut encore mieux, pour un état libre, être assujetti par un prince que par une république. On en voit partout la preuve dans l’histoire de l’Italie au moyen âge, et particulièrement dans la dure servitude imposée aux Lucquois par les Pisans. Un beau jour, par exemple, dans un accès de défiance contre ces derniers, les Pisans décrétèrent que tous les habitans de Lucques, depuis l’âge de quatorze ans jusqu’à celui de soixante-dix, eussent à quitter la ville avant l’extinction d’un flambeau allumé à chacune des portes, et il fallut obéir.

En avançant dans l’histoire de Lucques, on arrive à cette triste époque où l’Italie devient le champ de bataille sur lequel les grandes puissances européennes viennent se disputer l’influence et un peu le coffre-fort où elles viennent puiser tour à tour. Charles-Quint vend aux Lucquois le protectorat qu’il leur impose pour 15 000 ducats payables en trois fois ; mais l’empereur, avide d’argent comme un dissipateur pressé de jouir, escompte la somme, et se contente de 12 000 écus argent comptant, sauf à demander bientôt après 12 000 ducats pour l’entretien de son armée, sans quoi Prosper Colonna va diriger ses troupes sur Lucques. Les condottieri du moyen âge rançonnaient moins impudemment les villes pour lesquelles ils combattaient que sa très sainte majesté impériale les petits états qu’elle protégeait. On marchandait avec cette besoigneuse majesté. Un peu plus tard,