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et consentant à n’être rien pour un temps encore. Son éducation est longue et laborieuse en vérité, et il ne saurait en être autrement, car le seul apprentissage de la liberté, c’est la possession de la liberté elle-même. Aussitôt par conséquent que disparaît en France ce gouvernement qui dispense de responsabilité, d’activité morale, de caractère, l’individu, appelé à la liberté, se montre ce qu’il est, plein de maladresses, d’égoïsme et d’ignorance. Ni son gouvernement, qui n’a jamais requis de lui que le silence, ni sa religion, qui repose sur un fondement extérieur et qui n’a jamais requis que son obéissance, n’ont pu lui donner la conscience et la science qu’il n’a pas. Mais n’importe, la France a protesté toujours tout en se soumettant, protesté malgré ses habitudes et ses instincts monarchiques ; elle a déclaré d’avance qu’elle se considérait comme faite pour d’autres destinées. Combien de temps durera cette situation violente, c’est ce qu’il est difficile de savoir ; mais il serait sage à tout gouvernement de prévoir qu’elle devra cesser un jour, et, pour son salut et sa durée même, de travailler à adoucir les crises futures en élargissant de plus en plus la sphère où peut s’exercer l’initiative individuelle, et en faisant tous ses efforts pour augmenter les rangs du peuple et diminuer les rangs de la populace. Le peuple ! la populace ! voilà en effet les deux termes extrêmes qui indiquent le mieux les différences qui existent entre les deux systèmes contraires : par tout où l’individualité est souveraine, il existe un peuple ; là où ses droits sont contestés, il n’existe trop souvent qu’une populace.


III

L’expérience a démontré la vanité des tentatives qui ont été faites pour s’opposer au développement de l’individualité ; il n’y a pas à désespérer du résultat de la lutte. Nous portons la peine de l’histoire, voilà tout : nous sommes ce qu’elle nous a faits, et il dépend toujours de nous d’en modifier et d’en changer le cours ; mais cela ne veut pas dire qu’il faille fermer les yeux sur les dangers présens, qui deviennent plus graves à mesure que le temps marche.

Le grand danger de la société moderne a été signalé, Il y a déjà trente ans, en deux mots admirables par l’homme politique le plus sagace de notre époque, par M. Royer-Collard : « Toutes les affaires qui ne sont pas nos affaires personnelles sont les affaires de l’état. » Ainsi la révolution, en émancipant les individus, a du même coup exagéré les obstacles imposés à l’individualité. Comment cela a-t-il pu se faire ? La révolution a été surtout négative et extérieure ; elle crut que, pour rendre l’homme libre, il suffisait d’abattre les institutions qui le gênaient. Protestation en faveur de l’individu, elle a