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de l’échelle sociale, dans tous les faits de la vie, et se révèlent tout aussi bien par les simples relations commerciales que par les émeutes ou les bouleversemens politiques. Aussi la société redoute-t-elle l’individu. Elle n’a pas perdu le souvenir des frayeurs que lui ont causées sa licence et ses saturnales. On peut l’opprimer sans crainte, elle ne réclamera pas. Cet abandon de l’individu par la société est un des faits les plus curieux de l’époque et les plus propres à éclairer sur l’avenir vers lequel nous marchons à grands pas. C’est un fait tout nouveau. Jusqu’à présent, la société avait pris parti pour ou contre l’individu, mais jamais elle n’était restée spectatrice indifférente. Outre cette conséquence terrible de l’indifférence, ses frayeurs en ont eu une autre presque aussi grave, la haine de la vérité et de l’originalité. Nous demandons à nos semblables de nous gêner le moins possible et par conséquent d’être le moins sincères possible, de n’avoir une opinion contraire à la nôtre que sur des sujets indifférens. Nous craignons que la pensée d’autrui ne se révèle au grand jour, de peur qu’elle ne nous soit une honte et une injure, et de son côté l’individu dissimule sa pensée, sachant bien qu’elle ne lui rapporterait qu’infortunes. Celui qui oserait dire franchement sa pensée à tous ceux qu’il rencontre passerait pour un diffamateur universel. Un seul mot peut résumer l’ensemble des relations sociales à notre époque : jusqu’à présent l’homme s’était défié de l’homme, aujourd’hui l’homme a peur de l’homme.

Écarté des affaires humaines par les méthodes modernes de gouvernement, redouté par la société, diminué et affaibli par la préoccupation exclusive de ses intérêts privés, vous croyez peut-être que l’individu trouvera un point d’appui dans les partis politiques ? Ils ont des intérêts généraux à faire prévaloir, et le fait même de leur existence prouve que les hommes sont partagés d’opinions sur les questions morales ; ils feront donc appel à l’initiative individuelle et la défendront de tout leur pouvoir ? .. Il n’en est rien. Parmi tous les partis qui divisent la France, un seul a fait quelques efforts en faveur de la liberté individuelle ; tous les autres sans exception comptent peu sur elle, ou essaient de se passer de son concours. À l’une des extrémités de l’échelle politique se trouve un parti qui prétend gouverner par le plus petit nombre, prétention condamnée en France, et qui impose le gouvernement comme un credo. Faire acte de foi en l’acceptant, telle est l’unique initiative qu’il réclame de l’individu. Il nie ainsi les transformations politiques, œuvre de la liberté, et regarde la société comme une institution fixe, au lieu de voir son vrai caractère, qui est la fluidité et le mouvement. L’autre extrémité de l’échelle politique est occupée par un parti nombreux, et qui, il y a quelques années à peine, a troublé le monde. Ce parti se divise en