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tient le colossal. C’est lui qui élève la tour de Babylone et les pyramides d’Égypte, car il a beaucoup de bras sans volonté pour servir la sienne.

On a aussi du temps de l’empire plus de portraits que de l’époque républicaine. Tandis que les images de tant de grands citoyens de Rome libre sont perdues, celles des plus exécrables tyrans de Rome esclave nous ont été conservées. La reconnaissance publique a moins multiplié les premières que la servilité les secondes. Heureusement les monumens de l’empire, loin de tromper la postérité l’éclairent ; nous allons en avoir la preuve dans ceux qu’Auguste a élevés. Nous y pourrons suivre toute sa politique, et ses portraits nous révéleront le vrai de son âme et de son caractère.

Depuis qu’Octave s’appelle Auguste, tout l’art de sa politique est de dissimuler l’empire en l’établissant et de simuler la république en anéantissant la liberté. Il ne se donne point comme le fondateur d’un ordre nouveau, mais comme le continuateur de l’ordre ancien. Né de la république, il ne violente point sa mère, de peur de la faire crier ; il se contente de l’étrangler sans bruit. On pourrait presque penser que l’ancienne constitution subsiste. Le sénat s’assemble régulièrement, il y a des consuls, des élections. C’est comme général, comme pontife qu’Auguste est investi des plus grands pouvoirs, c’est comme tribun que sa personne est sacrée. On a soutenu gravement que ces titres, donnés à Auguste par un sénat qui ne lui refusait rien, avaient pu lui conférer légitimement les droits que ces mots représentaient. C’est dérisoire. Ces titres menteurs ne trompèrent alors personne, mais on s’accommoda de la fiction sans en être dupe. Quand on veut servir, on n’est pas difficile sur les prétextes de la servitude[1].

Ce qui est certain, c’est qu’Auguste, averti par le meurtre de César, à qui son ambition plus sincère avait coûté la vie, ne se donna jamais des airs de souverain absolu : il lui suffisait de l’être. En vérité de quoi les Romains auraient-ils pu se plaindre ? En détruisant la vie politique, Auguste en avait soigneusement conservé le simulacre ; les choses étaient autres, mais les noms étaient les mêmes : Rome avait un maître, mais elle n’avait pas de roi. Rien n’était changé que tout.

Le passage de la république à l’empire, bien qu’au fond entraînant un changement radical, fut donc presque imperceptible, et il dut rester quelque temps, dans les habitudes et dans les sentimens, un peu du vieil esprit romain. Ainsi pendant une absence d’Auguste, alors en Sicile, il y eut à Rome une agitation assez grande à propos de l’élection des consuls, dernières palpitations d’une vie qui s’éteignait.

La littérature, tout asservie qu’elle fût sous Auguste, montrait par

  1. C’est ce qu’un écrivain savant et généreux, M. Albert de Broglie, a très bien appelé le mensonge politique d’Auguste.