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qui vous a vaincu le jour où il triomphait de la liberté, le relicta non bene parmula d’Horace contient l’aveu à demi ironique d’une faiblesse qu’Horace aggrave en s’en raillant. On a beau être un grand et charmant poète, on ne doit pas parler sur un ton si dégagé de sa conduite, quand elle n’a pas été plus brillante. L’apothéose du vainqueur de Philippes allait mal à l’ancien officier de Brutus. Malheureusement Horace était trop épicurien pour être tout à fait digne. C’était un esprit aimable, ce ne fut pas un caractère fier. Il n’avait rien en lui d’un vieux Romain, pas même la race. Tout son génie poétique ne peut faire oublier que son père était un affranchi et lui avait transmis du sang d’esclave.

Quant au doux Virgile, il n’avait vu de l’époque républicaine que ses violences ; il n’avait embrassé aucun parti, joué aucun rôle. Il fut plus excusable qu’Horace de céder au prestige de l’empire. Puis Auguste lui avait rendu son héritage champêtre, et son âme tendre fut séduite et aveuglée par la reconnaissance. Je regretterais seulement qu’il eût consenti à effacer du quatrième livre des Géorgiques l’éloge de son ami Gallus, disgracié par Auguste. Qu’on excuse plus ou moins les flatteries de ces deux grands poètes, on ne peut y voir des jugemens désintéressés. Et cependant n’est-ce pas entouré de l’auréole dont ils l’ont couronné qu’Auguste apparaît surtout à l’imagination de la postérité ? Nous verrons bientôt que les historiens, ceux du moins dont la sincérité n’est pas douteuse, ne lui sont pas si favorables.

Auguste a été récompensé avec exagération d’une de ses meilleures qualités, l’amour des lettres. Il paraît les avoir aimées véritablement. La haine des lettres est rare chez les plus mauvais souverains ; c’est le dernier signe de la réprobation pour les tyrans. Non-seulement Auguste s’attachait les écrivains par ses bienfaits, mais il était aimable avec eux. Il les écoutait avec complaisance, dit Suétone, quand ils récitaient leurs vers. Qu’eût-il pu faire qui leur fût plus agréable ? Il n’y avait pas du reste grand mérite, quand ces poètes étaient Horace et Virgile. Ce fut, je crois, à la fois calcul habile et goût sincère. Lui-même faisait des vers, et de beaux vers, à en juger par ceux qu’il composa au sujet de l’ordre donné par Virgile de brûler son Enéide. Il voulut faire une tragédie ; César en avait fait une. Auguste ne fut pas content de la sienne, et l’effaça ; elle devait lui sembler pâle en comparaison des sanglantes tragédies du triumvirat. Il écrivit aussi des vers satiriques auxquels on ne pouvait répondre, car, comme dit à cette occasion Pison, « on ne saurait écrire contre qui peut proscrire. » Du reste il ne faut pas s’étonner de rencontrer des goûts littéraires chez un homme naturellement cruel. Souvent l’amour des lettres s’est associé à la cruauté, témoin Néron, Childéric, et cet autre proscripteur, Charles IX, qui faisait aussi de beaux