Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/724

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

auprès d’Auguste. Hérode ayant tué son fils, Nicolas se hâta de faire l’apologie de ce meurtre. Cela rend l’indépendance de son jugement suspecte. Les morceaux qu’on a de lui contiennent quelques faits intéressans ; mais la flatterie est manifeste, comme le reconnaît le savant éditeur M. Charles Müller. Le courtisan d’Hérode l’était aussi d’Auguste, à qui il envoyait de temps en temps des dattes de Jéricho. Velleius Paterculus, serviteur et admirateur de Tibère, n’inspire pas plus de confiance, et on peut le surprendre parfois en flagrant délit d’adulation et de mensonge.

Auguste a eu encore une autre fortune : son règne a inspiré un certain respect aux écrivains chrétiens, parce que ce règne avait vu l’avènement du Messie. Un tel sentiment est déjà chez Orose, cet Africain du IVe siècle, qui du reste fait si bon marché de l’empire romain, sur lequel, d’après lui, les Barbares accomplissent la justice de Dieu. Selon une légende, la sibylle avait annoncé à Auguste la naissance de Jésus-Christ. La mémoire du fondateur de l’empire se trouvait ainsi liée aux origines du christianisme et comme consacrée par elles. L’histoire chrétienne elle-même fut atteinte par les traditions de l’apothéose païenne ; Orose voit un miracle dans un prodige tout païen qui accompagna, dit-il, l’entrée d’Auguste à Rome après sa victoire sur Sextus. « Une fontaine d’huile jaillit dans Rome, symbole irrécusable de l’oint du Seigneur, car l’huile servait à l’onction sacrée[1]. » De là sans doute l’expression de Dante, il buon’ Augusto, qui paraît si singulière quand on est en face des portraits d’Auguste. De plus, pour Dante, qui ailleurs le vante d’avoir conduit l’aigle romaine jusqu’aux rivages de la Mer-Rouge, d’avoir fermé le temple de Janus et donné la paix au monde, Auguste était, après César, le fondateur du saint empire, une des deux colonnes de la société dans le système historique du grand proscrit, celle à laquelle il s’attachait toujours davantage à mesure qu’il devenait plus gibelin.

Bossuet lui-même est un écho magnifique d’Orose, lorsqu’il fait cet admirable tableau de la paix universelle sous Auguste qui se termine par ce grand trait : et Jésus-Christ vient au monde. On conçoit du reste que l’établissement du despotisme romain n’eût rien qui déplût à l’auteur de la Politique sacrée, à celui dont les prédilections pour le pouvoir absolu, qu’il admirait dans Louis XIV, étaient si grandes, qu’il prétendait en tirer la théorie de l’écriture, bien que la théocratie dans l’Ancien-Testament soit peu favorable à la royauté, et que l’esprit de l’Évangile soit un esprit de liberté.

Pour les hommes du XVIe siècle, la protection des lettres était le plus grand mérite d’un prince. À ce titre, ces savans, ces poètes, qui faisaient l’ornement des petites cours d’Italie, ne voyaient rien au-dessus

  1. Voyez Egger, Examen des historiens d’Auguste, p. 321-23.