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un autre Romain. Enfin je n’aime pas les deux vers que Corneille place dans la bouche de la sage Livie, et qu’on croirait la morale très immorale de la pièce, car Emilie elle-même semble en reconnaître la vérité :

Tous ces crimes d’état qu’on fait pour la couronne
Sont absous par le ciel alors qu’il nous la donne.


Je préfère cette remarque générale de Voltaire sur la clémence d’Auguste arrivé à l’empire : « Comment peut-on tenir compte à un brigand enrichi, et assuré de jouir en paix du fruit de ses rapines, de ne pas assassiner tous les jours les fils et les petits-fils des proscrits, quand ils sont à ses genoux et l’adorent ? »

Malgré tout, Cinna a achevé de remplir les esprits de la grandeur du personnage d’Auguste et quand on parle de lui, c’est souvent d’après Horace, Virgile et Corneille, d’après la poésie et non d’après l’histoire. C’est que nul historien populaire ne s’est trouvé là pour balancer la popularité des poètes. Les deux seuls historiens d’Auguste qui aient une certaine importance sont, comme je l’ai dit, Suétone et Dion Cassius, tous deux très postérieurs : Suétone écrivait sous Adrien, et Dion Cassius sous Alexandre Sévère. Suétone est un collecteur de faits plutôt qu’un historien, mais il est un collecteur curieux, et parce qu’il est anecdotique, il abonde en détails qui peignent l’individu. Sa biographie, tout incomplète qu’elle soit, et l’histoire de Dion Cassius contiennent, malgré l’intention des auteurs, tous deux favorables à Auguste, assez de faits vrais pour que, d’après eux, l’on pût se former de lui une idée beaucoup plus juste que celle qui a cours communément ; mais Suétone et Dion Cassius sont beaucoup moins lus qu’Horace et Virgile, il n’est donc pas étonnant que l’Auguste d’Horace et de Virgile se soit substitué au véritable, et soit devenu l’Auguste de la postérité. Je crois qu’il n’en eût pas été de même, si nous avions conservé la vie d’Auguste par Plutarque. Sans se piquer beaucoup de juger les personnages dont il raconte l’histoire, Plutarque sait mettre avec tant de bonheur et comme sans effort la réalité en relief ; il est un narrateur si candide et si sensé, que les figures qu’il dessine apparaissent au lecteur dans toute leur vérité. Celle d’Auguste s’est bien trouvée de ne pas être présentée ainsi. Quant aux autres historiens d’Auguste, ils ont tous écrit dans un esprit d’adulation évident. Tacite a indiqué et flétri d’une phrase cette servilité de l’histoire : « Les génies ne manquaient pas, mais, l’adulation arrivant, ils s’affaiblirent. »

Il faudrait beaucoup de bonne volonté pour aller prendre son jugement sur Auguste dans les fragmens de Nicolas de Damas. Ce Nicolas, dont on a assez parlé depuis quelque temps, était un rhéteur aux gages d’Hérode, roi de Judée, qui l’employa dans des missions