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ment ; sa patience a lassé toutes les persécutions et vaincu toutes les résistances légales. Emporté, roulé comme une feuille morte, il court le monde, depuis bientôt deux mille ans, à travers les civilisations chrétiennes, qui le regardent comme un vivant témoignage de la vengeance divine.

Une erreur assez généralement consacrée veut que l’ubiquité de la race israélite date de la destruction du second temple par les mains de Titus. C’est bien là en effet l’époque de la grande dispersion des Juifs, mais d’authentiques monumens proclament que l’établissement, soit de certaines familles, soit de nombreuses populations hébraïques dans différentes parties de la terre, remonte plus haut que la ruine de Jérusalem, la construction du second temple n’ayant été saluée que par les débris d’un peuple dont la plupart des tribus étaient déjà dispersées dans l’extrême Orient. On retrouve même dans l’Abyssinie un rameau judaïque dont les traditions s’arrêtent à l’histoire du roi Salomon. Ce qui s’est passé depuis ce temps-là dans Israël est comme non avenu pour ces familles séparées de la tige originelle. L’opinion des voyageurs et des rabbins est que la colonie juive de l’Abyssinie fut implantée en Afrique par la reine de Saba[1]. La Chine est également habitée par des Juifs qui ont quitté leur patrie avant la dernière catastrophe : à Bombay seul, on compte cinq mille de ces Juifs indo-chinois[2], qui s’occupent surtout d’agriculture et de la fabrication de l’huile. Ils ne possèdent point de manuscrit de la loi ; mais leurs cérémonies religieuses et leur foi dans l’unité de Dieu ont résisté à l’influence de l’athéisme qui les entoure. Ils connaissent l’hébreu, quoique imparfaitement, et le prononcent mal, parce que la langue chinoise ne possède point tous les sons nécessaires à l’articulation de leur idiome primitif. Quelques-uns d’entre eux ont été revêtus de la dignité de mandarins. La date de leur émigration est difficile à fixer ; cependant différentes circonstances portent à conclure que les Israélites de Bombay sont venus s’établir en Chine à l’époque de la captivité des dix tribus. Ce qui paraît certain, c’est que leur séjour dans le pays est antérieur à la naissance de Jésus-Christ : ils ont appris ce nom de la bouche des missionnaires. L’Inde a également reçu, dans un temps qui paraît très éloigné, quelques

  1. Un savant israélite de Padoue, M. Philoxène Luzzato, s’appuyant sur les données que lui avait procurées un voyageur français, M. d’Abbadie, a traité cette question dans un travail posthume qui a paru dans les Archives israélites, publiées à Paris par M. S. Caben.
  2. Le célèbre missionnaire protestant Gutzlaff, mort il y a peu d’années, a recueilli des renseignemens intéressans sur ces antiques colonies juives dans le Céleste-Empire. On peut voir aussi un ouvrage de l’abbé Sionnet, membre de la Société asiatique de Paris, Essai sur les Juifs de la Chine et sur l’influence qu’ils ont eue sur la littérature de ce vaste empire avant l’ère chrétienne.