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répandant les premières connaissances de la philosophie, de la botanique, de la médecine et de la cosmographie ; ils avaient introduit l’étude de la langue sacrée ; ils avaient assisté les Portugais dans la découverte des Indes orientales. Malgré ces titres à la reconnaissance publique, le roi de Portugal ne consentit à recevoir les Juifs bannis de l’Espagne que sous des conditions fort dures. Ils devaient payer par tête une somme d’argent, moyennant laquelle il leur serait permis de séjourner huit mois dans le pays ; ce terme expiré, le roi s’engageait à leur fournir des vaisseaux pour les conduire, à leurs frais, vers les points de la terre qu’il leur conviendrait de désigner. Ceux qui ne seraient point partis à l’époque indiquée par le décret devaient demeurer comme esclaves. Les capitaines de vaisseau chargés de transporter les Juifs ne leur ménagèrent pas les insultes brutales. Quelques-uns leur ravirent leurs femmes et leurs filles, de sorte qu’au départ de l’Espagne les misères de ce peuple ne faisaient que commencer. Les Israélites castillans qui, par raison de pauvreté ou pour toute autre cause, n’avaient point quitté le sol du Portugal au jour fixé furent pris et gardés à titre d’esclaves. Le roi leur arracha leurs enfans et les fit baptiser ; ayant à cœur de peupler des terres nouvellement découvertes sur les côtes de l’Afrique, notamment l’île de Saint-Thomas, il l’envoya ces enfans dans l’espoir qu’isolés de l’influence de leurs parens et mariés plus tard aux habitans de l’Ile, ils deviendraient de bons chrétiens.

L’accession d’Emmanuel au trône de Portugal, en 1495, parut enfin devoir améliorer la situation des Juifs espagnols ; le nouveau roi mit en liberté ceux que son prédécesseur avait condamnés à l’esclavage. Les espérances que les Hébreux avaient fondées sur le nouveau règne furent malheureusement de courte durée. Une question de mariage, l’influence de l’Espagne, changèrent tout à coup la politique d’Emmanuel. En décembre 1496, un décret ordonnait à tous les Juifs et à tous les Mores qui ne voudraient point embrasser la foi chrétienne de quitter le Portugal. Cette mesure enveloppait non-seulement les Juifs espagnols, mais aussi les familles Israélites établies depuis un temps immémorial sur le sol de la Lusitanie. Un jour était marqué pour le départ ; après ce jour-là, tous les Juifs qui demeureraient en Portugal devaient perdre leur liberté. Un délai de trois mois était accordé aux proscrits. Les trois mois étaient écoulés, le temps de l’exécution de l’édit était venu ; les Juifs se préparaient avec une ferme résolution à quitter une terre qu’ils s’étaient accoutumés à regarder comme leur seconde patrie. Emmanuel commença à jeter un regard soucieux sur cette population qui avait été la lumière de son royaume. Le bannissement de tant de milliers d’hommes riches et instruits allait laisser un grand vide