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dans un petit état. Le roi voulut du moins retenir une partie de cette race qui lui échappait par sa faute. Il ordonna que les enfans juifs au-dessous de quatorze ans seraient gardés de force et instruits dans les mystères de la foi chrétienne. Un tel édit ne put être exécuté sans donner lieu à des scènes navrantes. Dans un accès de rage et de désespoir, on vit des parens tuer d’abord leurs enfans en les jetant dans des puits et se détruire eux-mêmes ensuite. Les destinées de l’Espagne et du Portugal ont bien changé depuis cette époque ; ces deux états puissans sous le soleil ont vu tomber leur marine, leur commerce et leur influence politique. La plupart des historiens castillans et portugais rapportent cette décadence à l’ex pulsion des Juifs. « En se privant, disent-ils, du concours de sujets utiles et industrieux, l’Espagne et le Portugal se sont condamnés à ne point recueillir la riche moisson que les découvertes dans les deux mondes devaient leur apporter. » Je ne crois point en histoire aux théories absolues : si les faits paraissent simples, les causes sont complexes ; mais il est impossible de nier que le bannissement des Juifs n’ait été une perte morale pour les deux pays et une raison d’affaiblissement. Le jeune prince qui règne aujourd’hui sur le Portugal a lui-même paru le reconnaître dans une circonstance mémorable. Se trouvant en 1854 à Amsterdam, il se rendit à la synagogue des Juifs portugais ; là il exprima des regrets tardifs et condamna, en termes voilés, l’impolitique conduite de ses prédécesseurs, qui, dans des âges d’ignorance et de fanatisme, avaient volontairement retranché de ses états une des sources de la fortune publique[1].

Les Juifs émigrans qui s’embarquèrent alors pour différentes contrées essuyèrent dans la traversée des traitemens odieux. Quelques-uns des vaisseaux étaient si chargés, qu’ils sombrèrent en mer, et ceux qu’ils portaient furent noyés. D’autres firent naufrage sur des côtes désertes, où les malheureux bannis périrent de froid et de faim. Un capitaine de navire s’amusa à jeter une partie de ses passagers dans une île où ils furent dévorés par les bêtes fauves. Comment ne point s’intéresser au sort d’une race dont l’histoire est un long martyrologe ? Le peuple juif était alors sur la terre la personnification d’un droit violé, de la liberté de conscience méconnue ou outragée. Ce qui étonne de la part des Israélites modernes au milieu d’épreuves si cruelles, c’est la constance inébranlable de leur foi religieuse. Leur ferme attachement à la loi de Moïse sous la verge de la persécution contraste avec les fréquentes apostasies des anciens Juifs, lorsqu’ils vivaient sous le gouvernement de leurs rois ou de leurs

  1. Aujourd’hui les Israélites, sont réintégrés dans le Portugal et l’occupent même un rang distingué.