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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/76

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REVUE DES DEUX MONDES.

dération formée contre Charles VIII, pour chasser, comme disait un peu plus tard Jules II, les barbares de l’Italie. Malheureusement dans cette confédération nationale étaient deux élémens peu nationaux, et les barbares étaient représentés par l’empereur Maximilien et par le roi d’Espagne. Bientôt après les Vénitiens s’allient au roi de France contre le duc de Milan. Ils devaient expier cette alliance avec une puissance dangereuse alors pour l’Italie, comme toutes les grandes puissances, par la ligue de Cambrai, qu’allait former contre eux le grand ennemi des barbares, Jules II, lequel, avant de vouloir les expulser d’Italie, les y appelait. Princes, papes, républiques furent donc tous coupables de cette faute de l’Italie au xve siècle : invoquer contre un ennemi détesté l’intervention étrangère et par là ouvrir et livrer l’Italie à l’étranger.

L’Histoire secrète de Foscarini a un Vénitien pour auteur ; mais ce n’est pas de Venise qu’il s’agit dans cette histoire intitulée secrète, seulement parce qu’elle est surtout diplomatique. Foscarini, homme distingué dans les lettres et qui fut doge au xviiie siècle, se trouvait ambassadeur de Venise auprès de l’empereur Charles VI, pendant qu’une bataille fit passer de l’empire aux Espagnols la possession du royaume de Naples. Et c’est cet événement, auquel la république de Venise demeura étrangère, qui est l’objet principal de cette histoire, dans laquelle Foscarini recherche les causes de la décadence et de la chute du pouvoir de la maison d’Autriche en Italie. Il se montre décidément partisan de la domination allemande, « laquelle, dit-il, était accompagnée d’avantages qui ne se rencontrent jamais sous les princes des siècles passés. » Ces mots sonneraient aujourd’hui étrangement dans une bouche italienne. Ils étonnent un peu dans celle de Foscarini, quand on le voit, tout de suite après avoir montré tant de sympathie pour la domination de Charles VI, reconnaître que l’Italie lui était surtout précieuse à cause des revenus qu’il en tirait, et, comme le dit énergiquement l’écrivain, qu’il en exprimait (spremeva), des places lucratives qu’il pouvait y donner à ses sujets. Foscarini avoue même négligemment qu’en Allemagne tous les revenus de l’empereur ayant une destination obligée et nécessaire, il ne lui en restait pas un sou, de plus « que le mode de gouvernement et le caractère de la nation y répugnaient à ces expédiens qui réussissent heureusement en Italie. »

Foscarini explique avec sagacité comment fut amené dans le royaume de Naples le changement de domination étrangère ; mais cette portion de l’histoire d’Italie, où l’Italie figure comme proie du vainqueur, passant d’une main à l’autre, n’offre qu’un intérêt plein de tristesse, tristesse admirablement exprimée dans le chœur d’une tragédie de Manzoni, où le poète montre les Francs s’unissant aux Lombards qu’ils ont vaincus pour opprimer ensemble un