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destinées actuelles sont un développement, une continuation du même ordre de faits. En étendant le cercle de ses études à l’Angleterre, à quelques parties de l’Allemagne qui confinent au royaume des Pays-Bas, et à certains états du Nouveau-Monde, M. da Costa a cédé à des considérations que je dois indiquer. Il existe un lien entre la situation des Juifs néerlandais et celle des Juifs anglais et américains, puisque la plupart de ces derniers sont partis des Pays-Bas ou des côtes de l’Espagne. D’un autre côté, les Israélites fixés en Allemagne (surtout ceux de la Westphalie) conservent avec les Juifs germains qui vivent en Hollande des rapports d’origine et de solidarité morale qu’il est impossible de méconnaître. Si ces raisons ne justifient point entièrement le plan, à la fois trop vaste et trop restreint, de M. da Costa, elles serviront du moins à l’expliquer. L’historien ne s’est point occupé de la France, où les Juifs occupent pourtant une haute position sociale, sans doute parce que leur émancipation les assimile maintenant en France à tous les autres citoyens, et parce qu’ils demeurent à peu près étrangers aux traditions des Juifs néerlandais.

Les Israélites établis en Hollande ne regardaient point sans un œil d’envie de l’autre côté de la mer ces belles côtes de la Grande-Bretagne, ces marchés, ces ports florissans qui ouvraient une perspective nouvelle à leur esprit d’entreprise. Ce fut sous le protectorat d’Olivier Cromwell que les Juifs firent une première démarche pour obtenir leur l’établissement légal en Angleterre[1]. Le rabbin hollandais Menasseh ben Israël fut chargé de cette négociation délicate. Le protecteur convoqua une assemblée d’ecclésiastiques, de juristes, de marchands, à White-Hall, et là il leur soumit la question. Dans cette réunion solennelle, il se déclara lui-même chaudement et ouvertement en faveur de la réadmission des Juifs. Un témoin auriculaire rapporte qu’il n’avait jamais vu le protecteur si éloquent que dans cette circonstance. Ce fut en vain, la majorité se montra opposée à la mesure. Quelques monumens de l’époque semblent indiquer que les Juifs étaient retournés sans bruit dans la Grande-Bretagne avant la restauration de 1656. Charles II les rétablit officiellement, et aussitôt après leur rappel ils fondèrent une synagogue

  1. Quelques historiens veulent que les Juifs aient commencé à s’établir en Angleterre sous le gouvernement des Romains. Leur opinion se fonde sur la découverte d’un bas-relief romain trouvé, à Londres, et qui représente, croient-ils, Samson conduisant des renards dans un champ de blé. Ce témoignage archéologique peut bien être révoqué en doute, mais il est certain qu’en 1230 les Juifs avaient érigé une magnifique synagogue à Londres. À l’ère de l’établissement avait succédé l’ère de la persécution. Les Juifs avaient été tourmentés, dépouillés, vendus et finalement chassés de la Grande-Bretagne.