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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/781

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y regarder de fort près, à certaines renommées qui passaient alors pour très légitimes. Le sculpteur Pajou et un peu plus tard le peintre Brenet, tels furent les artistes auxquels ils s’en remirent du soin de développer cette jeune intelligence. Comment de tels maîtres s’acquittèrent-ils de leur tâche ? C’est ce qu’il serait difficile de préciser. Pajou, statuaire non sans mérite assurément, pouvait au moins prêcher d’exemple à son élève et lui enseigner, à défaut de principes plus élevés, les conditions matérielles de l’art qu’il pratiquait d’une main habile. Quant à Brenet, si ses conseils furent vraiment utiles à Gérard comme celui-ci s’est plu souvent à le dire, c’est que chez le triste peintre du Maréchal de Tavannes à Renty et de la Mort de Du Guesclin la théorie apparemment l’emportait de beaucoup sur la pratique.

Quoi qu’il en soit, après que David eut exposé au salon de 1785 son tableau des Horaces et ruiné par ce brillant succès toutes les fausses gloires de l’école, toutes les routines académiques, Gérard, à l’exemple des autres artistes de son âge, quitta sans marchander une discipline surannée pour passer dans le camp du novateur. L’atelier de David, comme autrefois à Bologne celui des Carrache, devint le port de salut où se pressèrent d’abord les nombreux transfuges de la vieille cause, puis des disciples qui, n’ayant pas eu à se convertir, auraient pu, sans danger pour leur zèle, se dispenser d’être intolérans. L’intolérance cependant, l’injustice même pour tout ce qui ne se rattachait pas directement aux nouvelles doctrines semblait un pieux tribut dont nul n’avait le droit de s’exempter. Je me trompe : parmi ces disciples un peu plus fervens que de raison, il s’en trouvait un qui, sans méconnaître l’opportunité de la réforme, sentait déjà le besoin d’en limiter les conséquences, et refusait de pousser le zèle du purisme jusqu’au culte d’un inerte idéal. À ses yeux, la représentation de la vie gardait encore son importance et sa part légitimes dans les œuvres de l’art. La peinture après tout n’avait pas pour objet unique l’imitation absolue de l’antique ; en un mot, Gérard croyait à la possibilité de se montrer vrai sans bassesse et correct sans archaïsme. Le portrait en pied d’Isabey, peint en 1795, et le portrait de Mlle Brongniart, exposé au salon de cette même année, furent les premiers et éclatans témoignages de l’indépendance de ses opinions sur ce point.

Pour apprécier l’originalité relative de ces deux ouvrages, et en général des portraits peints par Gérard dans sa première manière, il ne suffit pas de se reporter à l’époque précise où ils parurent et de se les figurer côte à côte avec les statues coloriées qui tenaient alors lieu de tableaux ; il faut encore jeter un coup d’œil sur l’ensemble des portraits produits en France depuis le commencement du