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XVIIIe siècle. Durant cette période de décadence pour la peinture d’histoire, les peintres de portrait, nous l’avons dit, étaient restés dignes de leurs devanciers. Cependant, si chez eux le fond des intentions n’avait pas varié, une véritable intempérance dans le style était venue troubler la sérénité habituelle de leur manière. Dès les premières années du règne de Louis XV, une sorte d’emphase dans la composition des portraits tendait à exagérer les caractères de la grandeur ; l’excessive adresse du pinceau faisait une part trop large à la pratique. Ce goût pour les formes pompeuses, ces entraînemens de l’école vers l’affectation pittoresque, on peut les attribuer aux exemples et à l’influence d’un maître bien éminent d’ailleurs, bien justement célèbre, Hyacinthe Rigaud.

Tout le monde connaît, soit par les originaux mêmes, soit par les estampes qui les reproduisent, les beaux portraits ; de Bossuet, de Philippe V, de la Duchesse de Nemours, et tant d’autres de la même main, parmi lesquels on ne saurait omettre cet admirable portrait de Louis XV enfant en costume royal, le chef-d’œuvre du peintre, sinon le chef-d’œuvre de la peinture de portrait en France. Rien de plus vrai à certains égards que de tels ouvrages, rien de plus conforme aux mœurs et à l’esprit du temps ; mais aussi rien de moins simple comme mode d’exécution et de mise en scène. La méthode de Rigaud, différente en cela de la méthode de Philippe de Champagne ou de Nanteuil, ne consiste pas seulement dans une étude scrupuleuse du caractère moral tel que l’expriment les traits du visage. Pour compléter la ressemblance et accuser pleinement les habitudes de son modèle, le peintre entasse sans compter les objets propres à impliquer soit une idée de supériorité intellectuelle ou hiérarchique, soit une idée de pure magnificence. De là quelque chose de tourmenté dans l’ordonnance, quelque confusion dans les détails. En ornant un peu trop la vérité, Rigaud l’appesantit parfois et la surcharge ; mais ces exagérations mêmes proviennent chez lui d’un excès de calcul et du besoin de tout définir. Quelques-uns de ses successeurs au contraire arrivèrent à l’exagération en écoutant surtout leur fantaisie : ils introduisirent la morgue et le faste là où il avait exprimé la dignité ou la richesse, le désordre là où il s’était proposé, — assez à tort du reste, — de figurer le mouvement. Ainsi, pour rompre la monotonie des lignes, Rigaud avait essayé d’agiter les draperies servant de fond à ses portraits, intention malencontreuse, puisque le vent, auquel il supposait le pouvoir de soulever ces draperies, n’en laissait pas moins le reste parfaitement immobile. On ne manqua pas d’enchérir sur cette faute de goût. De véritables trombes vinrent ravager l’intérieur des appartemens où les peintres représentaient d’ailleurs leurs modèles dans l’attitude la plus calme, dans la toilette