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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/789

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perdre dans le haut de la toile, et l’autre, vu de face ou plutôt pressenti grâce aux lignes précipitées de la voûte qui le surmonte, aboutit à une porte ouverte sur un jardin. Ce fond, parfaitement disposé pour laisser aux deux figures l’importance et le relief nécessaires, n’est pas, ainsi qu’il arrive d’ordinaire dans les grands portraits, un fond de fantaisie. À l’époque où Gérard peignit Isabey, celui-ci, comme plusieurs autres artistes, avait un logement au Louvre, et les détails d’architecture reproduits par le peintre ne sont qu’un trait de ressemblance de plus dans cette véridique image. Ne sent-on pas d’ailleurs que le modèle est représenté chez lui, et le choix même du costume n’indique-t-il pas un homme surpris dans les habitudes familières de sa vie ? Une veste flottante en velours noir, une culotte de couleur verdâtre, des bottes à revers, et pour l’enfant une robe blanche sans ornemens d’aucune sorte, un bonnet d’où s’échappent des mèches de cheveux indociles, voilà certes des élémens d’ajustement bien différens de la magnificence pittoresque à laquelle on était depuis longtemps accoutumé. Avec de si humbles ressources, Gérard a su pourtant donner aux lignes générales de sa composition une véritable plénitude, et aux formes de détail une élégance sans affectation, qui, loin de mentir à la réalité, l’épure seulement et la confirme.

Le portrait de Mlle Brongniart accuse tout aussi peu la recherche, et le goût si simple dans lequel il est conçu et exécuté rappelle la bonhomie des vieux maîtres, cette sincérité en face de la nature qui les porte à retracer tout uniment ce qu’ils voient, sans attribuer à la volonté une part plus large qu’à l’impression. En pareil cas, tout dépend, il est vrai, de la façon dont on sera impressionné. Tel peintre qui aura fait preuve d’une extrême fidélité matérielle n’aura réussi qu’à prouver par cela même sa niaise clairvoyance ; tel autre au contraire, en étudiant le même modèle, l’aura envisagé sous un aspect tout différent, non moins vrai pourtant à l’extérieur, et de plus intimement expressif. Chacune des deux copies ressemblera également, si l’on veut, au type original ; mais la première n’aura avec lui qu’une conformité inerte ou vulgaire, la seconde le reproduira avec une exactitude contrôlée par le sentiment de l’artiste. Celle-ci enfin sera l’image du vrai, celle-là l’effigie du réel. Or cette distinction entre la transcription littérale et l’interprétation du fait, le portrait de Mlle Brongniart l’établit nettement et la consacre à la manière des plus beaux portraits de l’ancienne école. Rien de factice, mais rien aussi qui sente le hasard dans la composition et dans le style de cette œuvre charmante. Est-ce sans calcul par exemple que Gérard a entouré d’une double ceinture la taille de son modèle et rattaché une seconde fois à la hauteur des hanches la robe déjà serrée au-dessous de la poitrine, ajustement ingénieux qui satisfait